Que se passe-t-il avec Serafe, l’entreprise chargée de percevoir la redevance radio-TV? Les nombreux couacs constatés lors de l’envoi de 3,6 millions de factures en janvier 2019 auraient pu passer pour une erreur de jeunesse. Mais près de deux ans plus tard, Bon à Savoir reçoit toujours régulièrement des plaintes de consommateurs. En cause, entre autres, la grande difficulté à obtenir des réponses ou même simplement à joindre le service clientèle (lire encadré). Côté politique, plusieurs parlementaires fédéraux ont récemment demandé des comptes sur la qualité du travail accompli par la société anonyme zurichoise.
Dès le début, ça coince
Pour mieux comprendre la situation, il faut se rappeler que la perception de la redevance a été profondément modifiée en 2019. Auparavant, avec Billag, seuls les ménages qui possédaient un appareil de réception devaient s’annoncer, en fournissant leur adresse. Désormais, tous les ménages – à de rares exceptions près – sont assujettis, et Serafe leur envoie directement la facture. Pour cela, elle utilise des bases de données fournies par les Services de contrôle des habitants. Et de toute évidence, la machine dysfonctionne.
Les principaux protagonistes se renvoient la balle. Lors de l’envoi des 3,6 millions de factures, les communes avaient été inondées d’appels dont une partie seulement était liée à des d’erreurs d’adressage. Estimant qu’elles n’avaient pas à assumer l’après-vente d’une société privée, les collectivités se sont plaintes à l’Office fédéral de la communication (Ofcom) qui a pris une décision radicale. «Nous avons alors été désigné comme seul point de contact pour toutes les demandes des clients, nous confrontant ainsi à un défi particulier qui n’était pas prévu», explique Erich Heynen, porte-parole de Serafe.
L’entreprise a ainsi été chargée d’enregistrer toutes les demandes liées aux erreurs d’adresse. Or, la loi n’autorise pas la société zurichoise à les modifier directement dans les bases de données communales. Elle doit en informer les collectivités publiques, afin qu’elles procèdent aux changements. «Ce détour est long, fastidieux et inefficace. Des semaines peuvent s’écouler avant que les données corrigées ne soient livrées», affirme Erich Heyen. Du coup, de nombreux dossiers restent en suspens.
Scène de ménage sur les ménages
Les critiques de Serafe sur la qualité du travail effectué par les communes, tant en ce qui concerne la justesse des adresses fournies que le temps nécessaire pour traiter les erreurs, ont provoqué des réactions courroucées, dont celle de Germann Hannes, président de l’Association des communes suisses. Dans une interpellation déposée en juin, le conseiller aux Etats UDC accuse l’organe de perception «d’être passé maître dans l’art de faire endosser aux autres la responsabilité de ses échecs et de son impuissance, notamment très souvent aux communes (…)».
Germann Hannes pointe aussi du doigt le choix fédéral: «Ce qui était frappant, lors de l’adjudication, c’est que Billag, prédécesseur de Serafe, avait plus de 100 collaborateurs et des frais de 35 millions de francs. Serafe perçoit les redevances avec moins de 50 collaborateurs et enregistre des frais annuels deux fois moins élevés.»
Par la voix de son porte-parole Francis Meier, l’Ofcom balaie d’un revers de la main l’hypothèse d’une entreprise qui manquerait de moyens: «Serafe exécute ses tâches conformément à son cahier des charges et reçoit une indemnité correspondant à son travail.» Selon lui, les problèmes restent mineurs et inhérents à l’ampleur de la tâche: «Plus de 300 000 factures sont envoyées chaque mois. S’y ajoutent des rappels et des poursuites. Il est donc évident qu’il peut y avoir des retards dans les réponses aux demandes des clients.»
Dans ce dossier, l’Ofcom a aussi ses coupables: «Serafe continue de recevoir des données qui ne sont en partie pas encore corrigées ou actualisées.» Quant à la grogne ambiante, Francis Meier estime que «tous les clients n’apprécient pas la redevance. Par conséquent, certains d’entre eux n’ont que peu de compréhension pour les délais d’attente et les réponses tardives.»
Il y a pourtant de quoi manifester un certain agacement, car le système est loin de fonctionner harmonieusement. Ce printemps, le Conseil fédéral révélait, dans sa réponse à une interpellation de Rutz Gregor, que près de 73 300 demandes étaient en suspens chez Serafe au mois de mars. Il y en avait 77 700 un an plus tôt. Serafe n’a donc pas réussi à réduire significativement le nombre de dossiers ouverts. Selon le Conseil fédéral, l’entreprise prévoit qu’il existera toujours un socle d’environ 35 000 cas en suspens. Beaucoup de clients devront encore et toujours prendre leur mal en patience.
Une structure bancale
Pour Dominique Monod, vice-président de l’Association suisse des services des habitants (ASSH), c’est la structure même du système qui engendre un flot de problèmes. Pour lui, «il ne peut tout simplement pas fonctionner correctement». Le Vaudois met en cause les bases de données utilisées pour adresser les factures aux ménages. Il s’agit des identifiants fédéraux des bâtiments (EGID) et des logements (EWID). Dominique Monod souligne que la collecte et le traitement de ces données est, à la base, destinée uniquement à des fins statistiques et, en aucun cas, pour procéder à des opérations de facturation. Selon lui, il serait illusoire de prétendre gérer les ménages à la perfection avec les EWID et les EGID, «tant les situations pouvant induire des erreurs sont multiples, à tel point que l'Office fédéral des statistiques autorise un taux d'erreurs de 2%, dans l'enregistrement de ces identifiants au sein des bases de données communales».
Et Dominique Monod de noter que, à Lausanne par exemple, plus de 53 000 mouvements de personnes ont été enregistrés en 2019, soit 36% de la population. «Souvent, les nouveaux venus s’annoncent au Contrôle des habitants avant que les partants n’informent de leur départ.» Ces chevauchements, comme d’autres facteurs, entraîneront donc toujours des erreurs.
Selon Caroline Sauser de l’Ofcom, «cette solution, choisie par le législateur, présente l’avantage de se baser sur des données qui sont, de toute façon, collectées par les registres des habitants, limitant dans ce sens les coûts». Cela constituerait un des éléments qui ont permis de baisser le montant de la redevance.
Que faire en cas de problème
L’Office fédéral de la communication (Ofcom) conseille de contacter directement Serafe par téléphone ou par écrit. Si nécessaire, l’entreprise renverra vers les interlocuteurs adéquats. Toutefois, précise l’Ofcom, si l’on constate une erreur d’adressage qui relève clairement d’un problème dans les données provenant de la commune, on peut prendre directement contact avec le Contrôle des habitants. Lorsqu’une erreur sur une facture est signalée, aucun rappel n’est envoyé et une nouvelle facture correcte sera adressée.
Serafe conseille de prendre contact avec elle en dehors des premiers jours ouvrables suivant l’envoi mensuel des factures et de privilégier l’appel téléphonique. Son porte-parole Erich Heynen précise qu’il ne peut toutefois pas exclure «que les clients doivent compter avec des temps de réponse excessivement longs dans certains cas».