Les Suisses sont parmi les plus gros consommeurs de vins rouges de la Ribera del Duero et de Toro, situées au centre de l’Espagne, sur un haut plateau aux influences climatiques continentales et atlantiques, mais de type méditerranéen tempéré, chaud et sec, avec une amplitude de températures extrêmes, allant parfois de moins 20°C en hiver à plus de 40°C en été.
La Suisse en tête de l’export!
Pour la dénomination d’origine (DO) Ribera del Duero (22000 ha, 280 caves), la Suisse est le principal marché d’exportation, avec 1,2 million de litres (17%). Pour sa petite voisine, la DO Toro (6000 ha, 60 caves), nous occupons le 4e rang, avec 250000 litres importés, soit 10% des exportations. Pas étonnant, dès lors, qu’on trouve des vins de ces deux régions dans toutes les qualités.
Hormis un vin en promotion à moins de 7 fr., avec un prix moyen de 16.60 fr., ces flacons sont bien valorisés. En Ribera del Duero, la catégorie des vins jeunes (joven) représente les deux tiers de l’embouteillage (chiffres 2015), et trois fois plus que les vins de Crianza (lire encadré). Ce glissement vers des jus d’abord immédiat est-il favorable à la qualité? On peut en douter. En effet, notre dégustation a placé en tête trois vins élevés un an en fût, dont un cru déstocké par Aldi, à un prix défiant toute concurrence (6.99 fr.). Mais c’est la maison catalane Torres qui l’emporte, avec sa sélection Celeste 2012, un vin à son optimum. Le premier vin jeune – une catégorie nommée désormais «cosecha» – figure au 4e rang rang, les deux autres se classant en queue de peleton (11e et 12e).
Du tempranillo local et pur
En tête donc, quatre Ribera del Duero, qui peuvent assembler le tempranillo à des variétés locales (grenache, principalement) à hauteur de 25%, mais avec seulement 5% de cépages internationaux (cabernet sauvignon, merlot et malbec). Derrière, trois vins de la DO Toro, dont un Reserva et deux Tinto qui, théoriquement, pourraient contenir 10% de grenache, mais dont l’étiquette spécifie «100% tinta de Toro», soit le nom local du tempranillo. L’influence du millésime n’est, là aussi, pas indifférente: après un trio d’années jugées «excellentes» (2009, 2010 et 2011), les suivantes sont plus contrastées, 2012 et 2014, jugées «très bonnes» encadrant 2013, «bonne»... seulement.
Dans les deux régions, ce sont les vins élevés en fût de chêne qui tirent le mieux leur épingle du jeu, le Toro le mieux noté étant même un Reserva. Cet élevage en bois a pourtant posé plusieurs problèmes à notre jury. Il marque indéniablement le vin, le bois américain, souvent utilisé dans la Rioja, accentuant une impression de sucrosité, voire de caramel.
Même si ces vins de relative entrée de gamme (pour une médiane tout de même à 16.60 fr.) sont puissants, leur potentiel d’évolution dans le temps paraît assez limité, la matière première riche et mûre ne permettant guère de faire des pronostics. C’est ce que démontre le Termes 2010, le vin d’entrée de gamme (mais la bouteille la plus chère de notre dégustation, à presque 30 fr.) de la prestigieuse Bodega Numanthia, fondée en 1998 et appartenant au groupe de luxe LVMH.
Pierre Thomas
Une estampille de plus en plus diffuse
Les vins espagnols, Rioja en tête, ont adopté depuis longtemps une estampille officielle pour différencier, par une couleur, quatre catégories:
⇨ les vins «jeunes» (ou «cosecha»);
⇨ les vins vieillis en fût le moins longtemps,
les Crianza (mis sur le marché après 2 ans, dont 12 mois en fût);
⇨ les Reserva (après 3 ans, dont 12 mois en fût);
⇨ les Gran Reserva (après 5 ans, dont 2 ans en fût).
La DO Ribera del Duero n’a jamais autant embouteillé de vins qu’en 2015. Mais la catégorie Gran Reserva, avec 23 000 cols (sur 91 millions!), n’a jamais été aussi faible. Tandis que la Reserva (4,6 millions) stagne à moins d’un quart de la Crianza (21 millions), elle-même trois fois plus faible que la cosecha (63 millions).
Le développement des vins jeunes s’explique par le changement du goût du consommateur, mais aussi par la volonté d’abaisser le prix de vente. Plus sournoisement, des producteurs renoncent à inscrire leurs vins dans une catégorie autre que la cosecha, parce qu’ils sont ainsi libres d’élever leur vin à leur guise. Et, aussi, parce que cette vignette coûte moins cher, ce qui paraît logique proportionnellement au prix de vente final, mais s’avère trompeur pour le consommateur, laissé dans l’ignorance du processus d’élevage du vin.