Quand il était enfant, mon père, âgé de 86 ans, recevait, en tout et pour tout, une orange à Noël. C’était d’ailleurs l’unique occasion d’en manger pour les douze frères et sœurs de la famille, qui se transmettaient leur maigre garde-robe des aînés aux cadets.
Chez moi, le frigo est toujours plein et mes armoires débordent. Entre la jeunesse pauvre de mon père et ma vie actuelle, il y a eu les Trente Glorieuses et l’avènement, puis le triomphe de la société de consommation, du moins en Occident. Les nouvelles générations ont, dès cette époque, exprimé leur statut social et cherché leur bonheur en achetant et en jetant à outrance.
Mais aujourd’hui, la planète n’en peut plus de nos excès. Comme à l’issue d’une soirée trop arrosée, l’euphorie laisse gentiment la place à une méchante gueule de bois et, pour certains, aux bonnes résolutions. Un concept a le vent en poupe: la «déconsommation», qu’on peut définir sobrement comme la volonté de consommer à la fois moins et mieux. Il s’agit de s’alléger et de revenir à des choses simples en n’achetant que ce dont on a besoin, en préférant les aliments et les cosmétiques bio, en réduisant l’utilisation des plastiques, en évitant les transports polluants, etc. Ces nouvelles habitudes font leur chemin au point que certains observateurs prédisent un virage sociétal. Une illusion? Pas selon des statistiques françaises, qui indiquent une diminution des volumes de vente des supermarchés. Cette tendance est volontaire, de plus en plus de gens préférant s’approvisionner ailleurs, soulignent les analystes.
Pour une partie des individus de ma génération, qui ont vécu la consommation à la fois comme un plaisir et une marque d’ascension sociale vis-à-vis de leurs parents, le retour à une certaine frugalité passe par un délicat travail sur soi-même. Pas facile, mais assurément indispensable: notre planète souffre, et le point de non-retour n’est peut-être plus très loin.
Sébastien Sautebin