Les rosés seraient-ils complexés par leur couleur? C’est ce que laisse penser cette tendance à produire des vins aussi livides qu’un ado au Tribunal des mineurs. Cette transparence, qui trahit souvent un manque de matière et de caractère, se plaît à l’apéro pendant la belle saison. Mais on trouve aussi des rosés plus typés et polyvalents qui ne réduisent pas le plaisir au périmètre d’une terrasse d’été. Compagnon d’apéritif et de repas, sans frontière saisonnière, l’œil-de-perdrix fait incontestablement partie de ceux-là.
Provenance hétéroclite
S’il fallait absolument rendre quelque chose à César, ce sont bien les racines neuchâteloises de l’œil-de-perdrix. Les recherches ont permis de remonter jusqu’au XIXe siècle avec, notamment, les traces d’une étiquette de 1861 imprimée par un vigneron d’Areuse (NE), Louis Bovet. Mais comme la dénomination «œil-de-perdrix» n’a pas été protégée, d’autres régions se sont empressées de la reprendre.
Il n’est donc pas étonnant que les vins dégustés par notre jury proviennent également des cantons de Vaud, du Valais et même de Thurgovie! Nous n’avons d’ailleurs déniché que deux crus neuchâtelois vendus dans les supermarchés qui répondaient au seul critère de notre sélection: le millésime (2018). Deux vins qui ont fait bonne figure, à l’image de l’incontournable Château d’Auvernier, classé troisième.
Le moins cher en tête
Les notes attribuées illustrent la belle qualité des bouteilles dégustées. Quatre d’entre elles ont écopé d’une note supérieure à 15 points et aucune n’a sombré sous la barre des 12 points. La meilleure surprise nous vient du rosé le moins cher du lot (7.49 fr.), un œil-de-perdrix valaisan vendu chez Aldi. «L’équilibre est harmonieux, avec une bouche expressive sur des notes de fraise et une belle longueur finale», note Priska Cédileau.
Sur la deuxième marche du podium, un autre cru valaisan vendu chez Denner. L’ensemble mise davantage sur l’élégance que la puissance. «Le nez est frais avec des notes à la fois végétales et fruitées, l’attaque en bouche est souple avec une jolie acidité qui participe à l’équilibre global», détaille Richard Pfister. Le Château d’Auvernier se veut moins flatteur, mais plus complexe que le duo de tête. «C’est un produit plus vif qui a malgré tout du volume et une belle intensité», relève Arnaud Scalbert.
Un millésime «chaud»
Si la législation autorise jusqu’à 10% de pinot gris ou blanc, l’œil-de-perdrix reste un rosé de pinot noir avant tout. Cépage qui, malgré des nuances liées au terroir, aime exprimer des arômes caractéristiques de fruits rouges – la fraise en particulier – dans sa jeunesse. Sur ce point, la majorité des vins était fidèle au cépage, comme en témoigne les notes de dégustation.
On attend également du pinot noir son élégance et sa finesse proverbiales. Si l’élégance aromatique était globalement au rendez-vous, bon nombre de vins manquaient malgré tout de fraîcheur et de légèreté. C’est l’écueil d’un millésime 2018 extrêmement généreux en raison de températures très élevées.
Yves-Noël Grin
Vieux ne veut pas dire meilleur
La croyance populaire suggère que le vin se bonifie avec l’âge. S’il est vrai que certains crus ont besoin de temps pour s’ouvrir, ils ne s’améliorent pas avec les années, ils évoluent. Inutile de miser sur la conservation d’une jeune piquette: elle ne deviendra jamais un élixir. En revanche, les bouteilles susceptibles de vieillir doivent être conservées dans des conditions favorables: à l’abri de la lumière, dans un environnement au taux d’humidité suffisant et à une température fraîche et stable.
Cette configuration idéale est aux antipodes des rayons des supermarchés. Mieux vaut donc éviter les vieux millésimes qui traînent et les bouteilles poussiéreuses. Préférer des vins très jeunes – surtout pour les blancs et les rosés – quitte à les conserver dans les règles de l’art chez soi.