Les sodas vendus en Suisse seront-ils moins sucrés à l’avenir? C’est ce que laisse entendre la nouvelle d’un accord, signé à la mi-février entre le conseiller fédéral Alain Berset et neuf fabricants, dont Coca-Cola Suisse et Rivella. Les industriels se sont engagés à réduire de 10% la teneur en sucre de leurs produits d’ici à 2024.
Bonne nouvelle? Bonne opération de communication surtout: non seulement la barre est placée très bas et l’engagement s’avère non contraignant, mais, en plus, la méthode de calcul n’incite pas les industriels à faire de gros efforts. Grâce à une astuce statistique.
L’industrie préfère la médiane à la moyenne
L’engagement pris par les fabricants ne prévoit pas une réduction du taux de sucre de chacune de leurs boissons. Mais une réduction de 10% de la valeur médiane de la teneur en sucre de tous leurs sodas et jus réunis sous diverses catégories (boissons sucrées non gazeuses, boissons sucrées gazeuses, thé froid, boissons énergisantes). Cette formule mathématique leur laisse une grande marge de manœuvre pour… ne pas faire grand-chose.
Contrairement au calcul d’une moyenne, la médiane est peu sensible aux valeurs extrêmes. Dans ce cas précis, aux boissons les plus sucrées. En utilisant la médiane, on sépare les boissons en deux groupes, le même nombre de produits se trouvant au-dessus et en dessous de ce seuil. Sur l’ensemble des boissons concernés (environ 700), la médiane de référence, établie en 2021 par l’Office fédéral de la sécurité alimentaire et des affaires vétérinaires (OSAV), correspond à un taux de sucre de 7,5 g pour 100 ml. En 2024, il devra se situer à 6,8 g.
Pour arriver à cet objectif, rien ne sert de baisser le taux de sucre d’un grand nombre de boissons, ni d’agir sur les boissons les plus sucrées ou les plus vendues, comme le confirme Frédéric Schütz, biostatisticien et maître d’enseignement et de recherche à l’Université de Lausanne: «Il suffit d’agir sur quelques boissons dont le taux de sucre se trouve proche de cette valeur médiane. Si la référence avait été une moyenne, et non pas une médiane, la contrainte aurait été plus forte.»
Les produits phares peu concernés
Alors, pourquoi ne pas avoir opté pour une autre méthode, plus exigeante? Interrogé Coca Cola Suisse renvoie à l’OSAV. L’Office en question ne donne pas non plus de réponse claire, mais dit espérer «que cette approche globale aura le plus grand impact».
A ce stade, les noms des boissons qui pourraient voir leur recette modifiée ne sont pas connus. Coca Cola, qui possède des marques comme Fanta ou Sprite, ne semble pas vouloir toucher à ses produits phares. Le groupe a lancé quelques nouveautés, ces dernières années, et devrait poursuivre sur cette voie. Pour remplir ses engagements, il «lancera d’autres innovations» qu’il s’agisse de boissons sans sucre, à faible teneur en sucre ou à teneur réduite en sucre, précise sa porte-parole Natasja Sommer. Ce qui, selon elle, correspond également aux attentes actuelles de la clientèle.
L’ajout de nouveaux produits à teneur réduite en sucre, voilà aussi une façon assez indolore de faire baisser la fameuse valeur médiane. Fin 2024, l’OSAV évaluera la réalisation des objectifs fixés en février. Même s’ils sont pleinement atteints, leur impact sur la santé publique risque d’être plus que négligeable.
Geneviève Comby
Boissons sucrées pointées du doigt
Surpoids, obésité, caries, mais aussi diabète et problèmes cardiovasculaires sont associés à une consommation excessive de sucre. En Suisse, comme dans de nombreux pays, les compteurs explosent. Par jour, nous avalons environ 110 g de sucres ajoutés, alors que l’OMS recommande de ramener cet apport quotidien à 50 g, et même à 25 g, soit 6 cuillères à café, pour prévenir les problèmes de santé. C’est moins qu’une cannette de 33 cl de Coca Cola (35 g de sucre).
Les boissons sucrées sont souvent pointées du doigt, car elles représentent une part importante de notre consommation de sucres ajoutés. Alors que certains pays ont déjà imposé une «taxe soda», la Suisse mise sur la responsabilité des individus et la bonne volonté des industriels.
Refus d’imposer des règles aux industriels
La question du sucre était au menu de la session de printemps du Parlement. Le 27 février, deux initiatives cantonales ont occupé le Conseil national. La première, genevoise, proposait de limiter la teneur en sucre des boissons industrielles et des aliments transformés. La seconde, fribourgeoise, réclamait un meilleur étiquetage de la quantité de sucres présents dans les denrées alimentaires. Lors du vote, la droite et le centre ont fait pencher la balance en leur défaveur, misant sur une autorégulation des entreprises agro-alimentaires. Les deux objets ont ainsi été balayés, de la même manière qu’ils l’avaient été auparavant par le Conseil des Etats.