Ces dernières années, les caisses de pension, les assurances, les banques, le monde politique et médiatique ont répété à l’envi que le deuxième pilier – appelé également prévoyance professionnelle ou LPP – reposait sur un sol précaire. En cause: la population vieillit et les rendements des placements baissent. Le capital épargné jusqu’à la retraite ne suffirait plus à financer les rentes jusqu’à la fin de la vie.
Sous la pression du lobby financier, le Parlement a modifié la loi sur les caisses de pension. Il a fixé des réductions de rentes et des cotisations plus élevées. Cela entraînerait de plus grandes déductions salariales. Autre grave conséquence pour les assurés: l’objectif principal est d’abaisser le taux de conversion minimal de 6,8% actuellement à 6% avec pour conséquence une baisse des rentes de près de 12%.
La réduction des rentes aurait de lourdes conséquences. Fin 2023, l’avoir de vieillesse de tous les actifs s’élevait à 646 milliards de francs (dont 260 milliards de francs dans le régime obligatoire). Les droits à la retraite baisseraient d’un peu plus de 30 milliards de francs. C’est le montant que les caisses pourraient verser en moins si tous les retraités choisissaient la rente.
Mais le sort de la réforme sera décidé dans les urnes. Une large coalition d’organisations politiques, syndicales et associatives a lancé un referendum. Et a récolté plus de 130 000 signatures, avec le soutien de Konsumenteninfo, notre maison éditrice. Décryptage des enjeux.
200 fr. de rente en moins par mois
Le taux de conversion détermine comment l’avoir de vieillesse des assurés est converti en une rente à vie. La réforme prévoit une baisse, qui toucherait l’ensemble de la prévoyance professionnelle.
Exemple: Une personne qui a épargné 300 000 fr. dans le deuxième pilier jusqu’à sa retraite obligatoire a aujourd’hui droit à une rente mensuelle de 1700 fr. Après un oui le 22 septembre, ce montant ne serait plus que de 1500 fr.
La LPP se divise en une part obligatoire et une part surobligatoire. La part obligatoire concerne les salaires annuels situés entre 22 050 fr. et 88 200 fr. Les assurés épargnent ainsi un capital obligatoire tout au long de leur vie salariée, auquel s’applique le fameux taux de conversion.
De nombreux employés versent cependant davantage dans le deuxième pilier que ce qui est prescrit. Par exemple lorsqu’ils gagnent davantage. Ils épargnent alors également un capital vieillesse surobligatoire. Il n’y a pas de règle pour cette partie de l’épargne: les caisses peuvent abaisser le taux de conversion en dessous du minimum légal. De nombreuses caisses l’ont déjà fait: le taux de conversion moyen n’est actuellement plus que de 5,31%.
Les bons salaires également affectés
L’abaissement du taux de conversion minimal à 6% aurait également des conséquences négatives pour les assurés disposant d’un capital surobligatoire. Les caisses sont tenues de garantir aux assurés une rente au moins aussi élevée que celle prescrite pour la part obligatoire: diminuer le taux revient à diminuer l’exigence sur l’ensemble.
Exemple: à 65 ans, un assuré a épargné 300 000 fr. dans le régime obligatoire et 50 000 fr. dans le régime surobligatoire. Son capital vieillesse s’élève donc à 350 000 fr. au total.
- A l’heure actuelle: rente minimale de 1700 fr.
- En cas de oui: rente minimale de 1500 fr.
Selon la loi en vigueur, la partie obligatoire du capital vieillesse de 300 000 fr. doit être convertie avec un taux de conversion de 6,8%. Cela donne une rente minimale de 1700 fr. L’assuré a un droit garanti à celle-ci, la caisse de pension ne peut pas aller en dessous.
Avec la réforme, seule une rente basée sur 6% des 300 000 fr. du régime obligatoire serait encore protégée par la loi, soit 1500 fr. par mois. En comptant la part surobligatoire, la caisse de pension pourrait convertir sa rente au taux de 5,3%, soit 1545 fr. par mois. Cet exemple montre que le capital vieillesse surobligatoire épargné de 50 000 fr. n’apporte pas un franc de rente supplémentaire.
Conditions trop strictes pour les compensations
La nouvelle loi prévoit que les réductions de rente seraient partiellement atténuées pour certains assurés. Une génération de transition de quinze ans recevrait un supplément pouvant aller jusqu’à 200 fr. par mois. Mais les conditions sont si strictes qu’environ la moitié de la génération de transition ne recevrait pas de supplément.
Ceux qui ont un avoir de vieillesse de plus de 441 000 fr. au moment de la retraite ou qui perçoivent plus de la moitié de leur avoir sous forme de capital ne recevraient rien. Il en va de même pour les femmes n’ayant pas encore 50 ans à l’entrée en vigueur de la modification de la loi (51 ans pour les hommes).
L’Office fédéral des assurances sociales estime les coûts du supplément de rente temporaire à environ 800 millions de francs par an. Ils seraient également financés par des déductions salariales supplémentaires.
Gery Schwager, René Schuhmacher, ld
La réforme du 2e pilier en cinq points
La Suisse votera, le 22 septembre, sur la réforme de la Loi sur la prévoyance professionnelle (LPP). Cette réforme a été approuvée en mars 2023 par le parlement, mais elle est contestée par voie de referendum. Elle porte essentiellement sur les points suivants:
1. Baisse du taux de conversion
Il passera à 6% pour la partie obligatoire de l’avoir de vieillesse (actuellement fixé à 6,8%). Les rentes pour la partie obligatoire s’en trouvent diminuées.
2. Augmentation du salaire assuré
Les cotisations seront prélevées sur 80% du salaire assuré (actuellement, ce dernier est amputé d’un montant fixe de 25 725 fr.). Cela a pour effet de payer davantage de cotisations
3. Lissage des taux de cotisation
Ils passeront à 9% du salaire assuré jusqu’à l’âge de 44 ans et 14% à partir de 45 ans (actuellement, les taux sont: 7% jusqu’à 34 ans, 10% jusqu’à 44 ans, 15% jusqu’à 54 ans et 18% jusqu’à 65 ans).
4. Introduction d’un supplément de rente
Destiné à la génération transitoire, qui partira à la retraite dans les quinze années suivant l’entrée en vigueur de la réforme, si elle est acceptée.
5. Abaissement du seuil d’entrée
Le salaire annuel minimal assuré auprès d’un employeur passe à 19 845 fr. (actuellement fixé à 22 050 fr.) afin que davantage de personnes (environ 70 000 à 100 000) ayant plusieurs employeurs puissent cotiser au 2e pilier.
Pourquoi le referendum?
- L’abaissement du taux de conversion réduira les rentes et donc le pouvoir d’achat des futurs retraités.
- Les cotisations seront relevées alors que les rentes ne le seront pas, réduisant le pouvoir d’achat des actifs.
- La hausse des cotisations coûtera cher aux entreprises, en particulier aux plus fragiles.
- Les mesures compensatoires seront insuffisantes pour absorber la perte de pouvoir d’achat de nombre de futurs retraités.
- Trop peu de personnes jusqu’alors exclues pourront désormais accéder au 2e pilier.
Le 2e pilier détient 156 milliards de francs de réserves
L’argent des cotisations au 2e pilier ne sert pas qu’à alimenter les avoirs de retraite. Il alimente aussi un gigantesque trésor constitué par les caisses de pension. Ce trésor se montait à 156 milliards de francs à la fin 2023, date des derniers chiffres disponibles. Cet argent, payé par les affiliés, ne leur sera pas restitué.
Notre rédaction a calculé le montant de ce trésor sur la base de deux sources: le Rapport sur la situation financière des institutions de prévoyance, publié chaque année par le gendarme du 2e pilier – la Commission de haute surveillance de la prévoyance professionnelle (CHS PP). Et les statistiques relatives à la prévoyance professionnelle des compagnies d’assurance-vie publiées par la Finma, le gendarme des assurances.
Il en ressort qu’aux avoirs totaux des affiliés au 2e pilier (1168 milliards de francs) doivent être ajoutés les 156 milliards de francs gardés sous le coude par les caisses de pension et les assurances-vie. Ces réserves sont trois fois plus élevées que la fortune de l’AVS (49,9 milliards de francs). Elles ont doublé en huit ans, alors que la fortune totale du 2e pilier n’a augmenté que de 21% pendant le même temps.
La croissance de ces réserves s’explique de trois manières:
Meilleurs rendements
Les caisses de pension obtiennent des rendements de leurs placements plus élevés (5,4% en moyenne annuelle entre 2012 et 2021) que ceux qu’elles reversent à leurs affiliés sous forme de rémunération des avoirs (2,4% en moyenne annuelle).
Baisse des rentes
Les caisses réduisent les rentes de leurs affiliés en abaissant le taux de conversion de la partie surobligatoire de ces derniers.
Provisions élevées
Les caisses constituent des provisions pour chaque retraité. Ces provisions sont souvent trop élevées. De plus, les caisses obtiennent des rendements plus élevés (5,4%) que ceux qu’elles anticipent. Au décès du retraité, l’argent qui reste de la provision revient à la caisse de pension.
Les provisions sont constituées grâce aux prélèvements sur les avoirs de vieillesse des affiliés. Lorsque ces derniers arrivent à l’âge de la retraite, ils se retrouvent avec des avoirs amoindris. De plus, un salarié qui change d’employeur ne peut pas emporter avec lui l’entier de ses cotisations passées: la part dévolue aux réserves de la caisse de pension reste auprès de celle-ci.
Résultat: les caisses nagent dans l’argent. Leur taux de couverture des rentes à servir s’élève aujourd’hui à 110,1%. Cela signifie qu’elles disposent de bien plus d’argent que nécessaire pour payer les retraites. Et, comme elles sous-évaluent les rendements futurs des avoirs de leurs affiliés, leurs fortunes s’en trouvent d’autant plus élevées. Gery Schwager / yg
Article complet dans le n°4 de Mon Argent, monargentmag.ch.
Une grande majorité des salariés concernés
Selon les défenseurs de la réforme, celle-ci ne changerait rien – ou presque rien – pour 85% des assurés. Or, ils admettent que cet argument de campagne est faux. Leur promesse: «la grande majorité des assurés (85%) n’est pas touchée par la baisse du taux de conversion sur la partie obligatoire» de l’avoir de retraite car ces personnes «sont assurées dans le cadre du régime surobligatoire et leur taux de conversion a déjà été adapté».
Pour résumer: la baisse du taux de conversion de la partie obligatoire (de 6,8% à 6%) serait compensée par un relèvement du taux de conversion de la partie surobligatoire. Ainsi, la rente ne serait pas réduite, selon les partisans de la réforme.
C’est factuellement faux: la réforme obligera toutes les caisses de pension à abaisser le taux de conversion pour la partie obligatoire à 6%. Mais elle ne les oblige pas à relever le taux de conversion de l’avoir surobligatoire.
«La fixation du taux de conversion relève de la compétence de la caisse de pension», admet une porte-parole du comité des partisans de la réforme. Et de préciser qu’«il n’est pas du ressort du législateur de décider» si les taux de conversion surobligatoires vont remonter. Ces dernières années, c’est le contraire qui s’observe dans la grande majorité des caisses.
Quant à savoir si ce taux de conversion surobligatoire serait relevé pour compenser la baisse du taux de conversion obligatoire pour 85% des affiliés, les partisans répondent: «Il n’est pas possible d’affirmer que cela doit être obligatoirement le cas.» Autrement dit: ils admettent que c’est faux. yg