Quoi de plus printanier qu’un champ de colza en fleurs? A Eclépens-Gare, les jeunes pousses illuminent la campagne vaudoise. Mais, de l’autre côté de la route, les cheminées de la cimenterie Holcim projettent leur ombre sur ce tableau idyllique: les abords de l’usine sont très pollués.
Au mois d’avril 2024, nous avons effectué des prélèvements de terre à 350 m de l’exploitation et nous les avons confiés à un laboratoire. Les experts ont décelé une concentration très élevée d’hydrocarbures aromatiques polycycliques (PAH), des substances hautement toxiques: 1520 microgrammes (µg) de PAH par kilo de terre.
Ces résultats compromettent la fertilité du sol près de la cimenterie: pour les PAH, l’Ordonnance fédérale sur les atteintes portées aux sols a fixé la limite à 1000 microgrammes (µg) par kilo de terre. Pour la dioxine, le seuil est de 5 nanogrammes (ng) par kilo. Ces substances cancérigènes pénètrent généralement dans l’organisme par le tube digestif, mais aussi par les voies respiratoires et par la peau.
Limites légales dépassées
La cimenterie d’Eclépens n’est pas la seule à poser problème: nous avons prélevé des échantillons jusqu’à 20 cm de profondeur près des cinq autres cimenteries suisses et un près de l’usine de chaux de Netstal (GL). Toutes ces exploitations sont entourées de zones résidentielles ou de champs cultivables. Selon les experts, les taux de PAH dépassent les limites à Péry-La Heutte (BE) avec 2060 µg/kg de HAP et à Wildegg (AG), avec 5,1 ng/kg de dioxines et 5370 µg/kg de HAP (voir tableau).
Ces émanations toxiques proviennent de l’incinération des déchets utilisés pour chauffer les fours. Selon l’Association suisse de l’industrie du ciment, les six cimenteries suisses en ont brûlé 360 000 tonnes en 2022.
Holcim, exploitant de l’usine d’Eclépens, balaie ces reproches. La haute teneur en PAH mesurée dans le champ adjacent ne provient certainement pas de la cimenterie, parce que ces substances sont générées quand la combustion se fait à des températures trop basses. Or, à Eclépens, les températures du processus de production sont très élevées et l’usine est équipée de dispositifs de filtrage et de traitement des gaz. Jura Cement, exploitant de Wildegg, déclare avoir mesuré lors de ses propres mesures des concentrations de dioxine dix fois moindres.
«Aucun danger pour l’Homme», selon les cantons
Le respect des valeurs limites pour les sols incombe aux cantons. Ceux d’Argovie, de Berne et de Vaud estiment que nos résultats ne mettent pas la population en danger. Les PAH peuvent par ailleurs provenir d’origines très diverses. «Les légers dépassements de la valeur limite des PAH sont souvent liés au trafic routier», écrit le canton de Vaud. Il faut effectuer au moins 16 prélèvements à des endroits distincts pour un contrôle officiel des valeurs limites, renchérit le canton d’Argovie. Un seul échantillon ne suffit donc pas.
Jonas Arnold / chr
Cour d’école polluée à Berne
En Suisse, la majeure partie des déchets passe par les fours des usines d’incinération des ordures ménagères (UIOM). En 2022, les cimenteries ont ainsi brûlé dix fois moins d’ordures que les 29 installations UIOM. Les terrains entourant ces dernières affichent, par ailleurs, des concentrations nettement plus élevées.
Lors de prélèvements effectués en octobre 2023, nous avions mesuré des concentrations de dioxine de 22,6 ng/kg à Sauvabelin et 21 ng/kg à Berne, près de l’usine d’incinération Forsthaus (lire «La forêt lausannoise de Sauvabelin est la plus polluée»). Le seuil légal à partir duquel les cantons doivent vérifier s’il existe un risque pour la santé est de 20 ng/kg.
L’Office bernois des eaux et des déchets a effectué, depuis, ses propres analyses à 500 m du lieu où nous avions effectué les prélèvements, sur la pelouse de l’école Steigerhubel à Berne. Il a trouvé des concentrations de 30 ng de dioxines et de 17 000 µg de HAP. A partir de 10 000 µg de PAH, les autorités doivent en effet vérifier s’il existe d’éventuels risques pour la santé en cas d’ingestion et, le cas échéant, prendre les mesures nécessaires. La ville de Berne prévoit d’assainir les lieux cet été. A Lausanne, des panneaux avertissent la population de la présence de polluants sur le site de Sauvabelin.