La concurrence entre compagnies aériennes est de plus en plus féroce et ces dernières veulent utiliser des avions toujours plus grands à leur capacité maximale. Pas étonnant, dès lors, que certains billets soient vendus pour une bouchée de pain: depuis Zurich, on peut trouver, notamment, des vols aller-retour pour Istanbul à 188 fr. et pour New York à 656 fr. Des tarifs qui n’empêchent pourtant pas certaines d’entre elles de dégager de substantiels bénéfices d’exploitation. A Swiss, ils totalisent, sur ces cinq dernières années, près de 1,539 milliard de francs.
Cette situation est favorisée par le fait que les Etats soutiennent l’industrie aérienne comme peu d’autres branches. En tant que contribuables, nous finançons donc l’aviation, et cela de différentes manières.
Les aéroports
Les aéroports sont en partie subventionnés par les deniers publics. Celui de Zurich, par exemple, a reçu de l’argent de la Confédération, du canton ainsi que des villes de Zurich et de Winterthour pour un montant total de 2 milliards de francs jusqu’à sa privatisation en l’an 2000. Les exploitants ont aussi obtenu le terrain à un prix très favorable: le canton de Zurich l’avait acheté en 1945 pour 10 millions de francs seulement. Aujourd’hui, l’aéroport est une société anonyme privée, cotée en Bourse. En 2000, le Gouvernement zurichois a estimé sa valeur à 1,65 milliard. La manière dont l’évaluation a été faite n’est pas claire: cette dernière n’a pas été soumise à un contrôle. Le canton est encore actionnaire de l’aéroport à hauteur de 33%.
Genève Aéroport, en revanche, appartient encore totalement au canton. Tandis que la France et la Suisse sont propriétaires de celui de Bâle-Mulhouse. Les aéroports régionaux de Berne-Belp et de Saint-Gall-Altenrhein sont exploités par des sociétés privées. En 2006 pourtant, les citoyens ont approuvé, en votation, une extension des pistes du site bernois pour un montant de 3 millions payés par la caisse cantonale. Altenrhein, toutefois, n’a pas reçu, ces dernières années, de subventions directes ou de prêts des pouvoirs publics, selon son porte-parole.
La situation est différente à Lugano-Agno, qui appartient à la ville de Lugano et au canton du Tessin. Entre 2005 et 2011, ce dernier a enregistré un déficit de plus de 4,2 millions, supporté par les deniers publics. Et rien n’indique que les choses vont changer.
L’aéroport de Sion, enfin, qui appartient à la ville, n’est pas rentable non plus. En 2012, les pertes ont atteint 1,37 million, contre 1,07 million l’année précédente. Ces montants sont pris en charge pour moitié par la ville de Sion et le canton du Valais.
La surveillance aérienne
La société Skyguide assure la sécurité de l’espace aérien suisse ainsi que des régions frontalières allemande, autrichienne, française et italienne. Cette société anonyme appartient presque entièrement à la Confédération. Les revenus proviennent, pour l’essentiel, des taxes de survol, d’atterrissage et de décollage. Ils ne couvrent cependant pas les frais. A la fin de 2012, le déficit cumulé atteignait ainsi 84,5 millions de francs. L’entreprise reçoit des subventions de la caisse fédérale. Elles se sont montées à 67,7 millions en 2012, ce qui a permis à Skyguide de boucler ses comptes avec un résultat d’exploitation positif de 30 millions.
Swiss
Après la faillite de Swissair, en octobre 2001, le contribuable a financé la suite des opérations ainsi que la création de la nouvelle compagnie Swiss. A la suite du fameux «grounding», la Confédération a ouvert des crédits pour un montant total de 2,05 milliards dont 1,169 milliard a effectivement été dépensé. L’Etat a aussi injecté 600 millions de francs dans le capital de la nouvelle compagnie et le canton de Zurich 300 millions. Or, en 2005, Lufthansa a acquis Swiss pour un prix total, à tout le moins avantageux, de 339 millions. Lufthansa a ensuite versé… 64 millions de francs à la Confédération pour sa participation au lancement de Swiss! La Confédération a donc perdu 1,705 milliard sur son investissement total de 1,769 milliard. De son côté, le canton de Zurich n’a touché que 32 millions de francs, perdant ainsi 268 millions sur son investissement.
Les coûts environnementaux
L’aviation figure parmi les plus gros pollueurs responsables du changement climatique. Par ailleurs, le bruit aux alentours des aéroports augmente les coûts de la santé et a une incidence négative sur la valeur des propriétés. Or, l’aviation civile ne prend en charge qu’une toute petite partie de ces coûts externes.
Les compagnies paient certes une taxe sur les décollages et les atterrissages, mais, à Zurich, par exemple, celle-ci se monte seulement à 11.30 fr. en moyenne par vol.
Avec la taxe sur les émissions polluantes, Zurich finance divers projets favorables à l’environnement: systèmes d’alimentation électrique des avions, véhicules à gaz ou électriques pour les aéroports, etc. Des taxes supplémentaires financent des mesures contre le bruit pour les habitations et dédommagent les propriétaires de biens fonciers. Aucune indemnité n’est toutefois prévue pour les citoyens subissant le vacarme des avions, mais qui n’habitent pas à proximité immédiate des pistes.
Le trafic aérien favorisé par rapport au rail
Nos chiffres montrent que l’aviation civile coûte beaucoup d’argent et qu’elle ne couvre pas ses frais. Les contribuables passent donc à la caisse, ce qui est contraire au principe du pollueur-payeur, puisque nous n’utilisons pas tous l’avion. De surcroît, les privilèges dont jouissent les compagnies aériennes faussent la concurrence avec le rail. Au sein de l’Europe, les chemins de fer sont souvent plus chers que les airs.
Urs Holderegger, porte-parole de l’Office fédéral de l’aviation civile (OFAC) justifie le favoritisme dont bénéficient les compagnies aériennes par des accords internationaux. La marge de manœuvre de la Suisse pour d’éventuels changements dans le domaine est donc très limitée. De surcroît, les compagnies du Proche-Orient profiteraient de «conditions largement meilleures» que leurs concurrentes européennes. Urs Holderegger ajoute: «Le transport aérien est aussi un transport public.» Autrement dit: cela justifie les subventions…
Sébastien Sautebin
Autres privilèges pour le trafic aérien
Le carburant: les automobilistes paient 73.12 centimes de taxe sur les produits pétroliers par litre d’essence sans plomb. Les compagnies aériennes qui s’approvisionnent en kérosène sur sol helvétique sont exemptées de cette taxe. Selon la Direction générale des douanes, 1,4 milliard de francs auraient ainsi échappé aux caisses de l’Etat, l’an passé.
La taxe sur la valeur ajoutée: les compagnies qui desservent principalement des destinations étrangères ne sont, le plus souvent, pas soumises à la TVA pour les livraisons et les services. Le carburant, le ravitaillement à bord, le nettoyage des avions et les prestations en matière de sécurité des vols en sont notamment exemptés. Les compagnies ne paient pas non plus de TVA sur les redevances aéroportuaires d’atterrissage et de décollage ni sur les taxes passagers, le fret ou les taxes d’enregistrement. De leur côté, les passagers ne paient pas de TVA sur les billets d’avion.
Le duty-free: les marchandises peuvent être vendues sans droits de douane ni TVA dans les aéroports et les avions. Depuis juin 2011, les passagers peuvent également acheter des marchandises hors taxe à leur entrée sur le territoire et non plus uniquement à leur sortie. Combien d’argent les pouvoirs publics perdent-ils? Ni l’Administration fédérale des douanes (AFD) ni l’Administration fédérale des contributions (AFC) ne sont en mesure de le dire.