Fini le temps où un petit sirop faisait le bonheur des gamins à l’heure des quatre heures: aujourd’hui, la boisson la plus consommée par les mômes est sans doute le ice tea, autrement dit le thé froid. La Suisse est en effet en tête des consommateurs européens – avec une moyenne de 30 litres par habitant et par année – loin, très loin devant les outsiders italien (9 l/an), allemand (8 l/an) et français (2,5 l/an).
Vendu en brique ou en bouteille PET, le thé froid profite de la réputation irréprochable du thé noir infusé «maison» et de l’aura quasi mystique du thé vert. Pourtant, la boisson n’a pas hérité de tous les bienfaits de son aïeul plusieurs fois centenaire. Et si elle en possède quelques qualités (très diluées), il s’agit surtout d’un soft drink dont la consommation par les enfants mérite d’être modérée. L’analyse du taux de caféine des 9 variétés de thé froid que nous avons confiées à
un laboratoire lausannois le montre bien.
Un sucre ou deux
Soft drink: boisson sucrée, en français. Le buveur de ice tea ne dose pas le sucre comme il le ferait lui-même pour un thé infusé – le fabricant l’a fait pour lui, généreusement pour certains. Par exemple, la ration de glucides affichée sur l’emballage va jusqu’à 8 g/dl pour le Ice Tea citron ou pêche de Migros, et tout de même à 4,2 g/dl pour Volvic Thé Citron, qui joue sur l’aspect diététique en vantant son caractère «très peu sucré».
Vraiment? 4,2 grammes dans un décilitre représentent l’équivalent d’un morceau de sucre dans un petit verre... De quoi grimacer. Et s’empâter – alors que le thé froid est volontiers consommé par les ados après le sport.
Quant à l’option light, elle n’est pas vraiment recommandable, le sucre semblant avoir au moins la faculté d’inhiber un tant soit peu les effets de la caféine. Car l’ingrédient le plus problématique du ice tea, quasi jamais mentionné sur l’étiquette, c’est la caféine. Qu’on l’appelle parfois théine lorsqu’on parle de thé ne change rien: il s’agit bien de caféine, substance qui favorise l’état de veille en supprimant la sensation de fatigue. Certes, elle n’est présente qu’en quantité relativement modeste – presque quatre fois moins, en moyenne, que dans le Coca (voir tableaux et encadré). N’empêche, le thé froid en est une source à ne pas négliger, surtout si Junior, au cours de la journée, avale un ou deux verres de Coca en plus de quelques rasades d’ice tea – voire, en sus, un ou deux espressos, pas rares chez les ados arrivant le matin à la caféteria de l’école.
Selon une étude américaine, les enfants de moins de 5 ans seraient même les
plus grands consommateurs de caféine, puisque leur faible poids les rend plus sensibles à des doses apparemment peu importantes. Un enfant qui boit une canette (33 cl) de Coca ressentirait donc les mêmes effets qu’un adulte qui s’enfile quatre espressos!
3 dl d’ice tea = un espresso
Si le thé froid contient quatre fois moins de caféine que la potion au cola, un litre d’ice tea consommé entre le goûter et le souper produira donc l’effet de trois ristrett’ bien serrés sur un organisme de moins de 30 kg – les parents apprécieront, surtout à l’heure du coucher. Pour Yolande Chérica, diététicienne depuis plus de vingt-cinq ans à l’Hôpital de l’Enfance (Lausanne), pas de doute: «Un enfant de 7 ans qui en boit un litre le soir ne parviendra pas à s’endormir! De façon générale, ce n’est pas une boisson à donner aux enfants irritables.»
Dans cette perspective, évidemment, certaines variétés, plus riches en caféine, sont encore moins recommandables que d’autres (voir tableau ci-contre).
Autres défauts du thé en général, ice tea compris: sa haute teneur en acide oxalique, qui a la faculté de précipiter (n.d.l.r. d’agglomérer) le calcium. Ce qui
en fait une boisson à éviter par ceux qui ont tendance à former des calculs rénaux – et en tout cas à administrer prudemment aux enfants. En outre, à cause des tannins qu’il contient, le thé est une boisson astringente, qui stimule peu les centres de la soif: il faut en boire plus pour se désaltérer! Sans compter qu’en modifiant l’équilibre des papilles gustatives, les tannins modifient le goût. A quoi s’ajoute encore la surstimulation desdites papilles par le taux élevé de sucre... Résultat: les enfants perdent le goût de l’eau, et restreignent durablement leur éventail de perceptions gustatives, un bagage nutritionnel qu’ils emportent vers l’âge adulte.
Fluor et vitamines
La présence de tannins n’est pourtant pas uniquement néfaste, à en croire Yolande Chérica: «J’ai pu constater que les tannins empêchent les réactions glycémiques élevées, ce qui fait du thé froid une boisson plus recommandée aux enfants diabétiques que les jus de fruits ou les sodas.» Le hic, c’est que la forte teneur en sucre du thé froid et la quantité plutôt faible de tannins qu’il contient relativisent l’efficacité de ces derniers.
Les autres atouts du ice tea? Notamment la vitamine B2 ou riboflavine, qui a la faculté de métaboliser les sucres et exerce une action favorable sur la peau, les muqueuses et la croissance; et le fluor, qui renforce l’émail des dents – mais est présent en quantité largement suffisante dans le dentifrice, le sel de cuisine et l’eau du robinet. Et, bien sûr, l’omniprésente vitamine C, vernis diététique apposé aujourd’hui sur n’importe quel snack pour déculpabiliser le consommateur grignoteur.
Un apport faible
Au final, les inconvénients nutritionnels du thé froid l’emportent sur ses avantages, qui se résument surtout à être «moins pire» que le Coca, en ce qui concerne le sucre et la caféine. La diététicienne de l’Hôpital de l’Enfance ne songe certes pas à proscrire le ice tea, mais à en limiter la consommation: «Il faut être conscient que le thé froid, comme les autres soft drinks, contient plein de choses qui n’apportent strictement rien aux enfants. La consommation de ces boissons doit rester exceptionnelle – au goûter, en pique-nique, lors d’un anniversaire... En plus, boire du sucré au milieu du repas coupe l’appétit pour les aliments protéiques, provoque un pic du taux de sucre dans le sang, invariablement suivi d’un down en début d’après-midi.»
A table, donc, une seule boisson: l’eau claire!
Blaise Guignard
Pas de mention obligatoire
Fort ou léger? L’étiquette ne le dit pas
Parmi les variétés de thé froid retenues pour notre comparatif, une seule (Ice Tea citron Migros) porte sur l’emballage la mention «contient de la caféine». En fait, l’Ordonnance sur les denrées alimentaires (ODAL) n’impose cette mention pour les boissons à base de thé que si le produit contient plus de 30 mg par litre de caféine, et encore, seulement si la dénomination spécifique du produit ne comprend pas les
termes «thé» ou «café».
Nous avons fait analyser par le laboratoire SCITEC à Lausanne les huit variétés de ice tea (arôme «citron») les plus consommées en Suisse, afin d’en déterminer la teneur en caféine. Nous avons également adjoint une variété au goût de pêche, pour voir s’il existe une différence sensible entre les deux.
Certaines variétés de notre sélection ne franchissent pas la barre des 30 mg/l et sont donc exemptées de mention spécifique; toutes les autres, à une exception près (Virgin), affichent les termes «thé froid» ou «thé glacé». Virgin est théoriquement en faute, mais peut-on prétendre ne pas comprendre que tea veut dire thé?
Les résultats (voir tableau ci-contre) sont très variables: le plus «fort», le Tea House Earl Grey de Migros, contient huit fois plus de caféine que le plus léger (Volvic Thé citron)! Globalement, cette teneur est modeste (moins de 40 mg/l en moyenne), mais non négligeable, sachant que les premiers consommateurs de thé froid sont des enfants.
Ce que l’on constate surtout, c’est que le thé le moins sucré, et le plus proche par le goût, du «vrai thé» (Volvic) est aussi celui qui contient le moins de caféine; Ie Ice Tea citron de Migros, le seul à indiquer «contient de la caféine», en contient pourtant moins que sa déclinaison au goût «pêche», et surtout moins que le Tea House Earl Grey (Migros). Pourtant, l’étiquette du Earl Grey est muette sur la présence de caféine! Et enfin, force est de constater que la teneur en extrait de thé, indiquée sur les emballages, ne permet absolument pas de préjuger de la teneur en caféine.