Les tarifs de l’électricité augmenteront massivement un peu partout en Suisse, l’an prochain. Mais la hausse ne sera pas la même pour tout le monde. A Yverdon, le kilowattheure coûtera 13 ct. de plus. Un ménage-type qui consomme 4500 kWh verra sa facture annuelle passer de 1090 fr. à 1678 fr. Soit un bond de 53,8%.
A Porrentruy, le même ménage-type payera 1147.50 fr. au lieu de 1134 fr. soit une hausse moindre: 1,2%.
La Commission fédérale de l’électricité (Elcom) indique que le ménage-type helvétique payera son électricité 27% plus cher (26.95 ct./kWh) en 2023 et déboursera 261 fr. de plus par an. Il s’agit toutefois d’une moyenne: selon la société gestionnaire du réseau, l’augmentation sera souvent beaucoup plus importante – et, parfois, inférieure. Pour bien comprendre cette situation, il faut se pencher sur les quatre éléments qui composent le prix de l’électricité. Leur analyse révèle que les tarifs pourraient être plus bas, mais l’Etat préfère ménager les grands groupes électriques.
1. Tarifs de l’énergie
C’est le montant facturé par les Services industriels pour l’électricité elle-même et le principal facteur responsable de l’augmentation des prix du kilowattheure. Certains gestionnaires de réseau produisent leur propre électricité, mais d’autres doivent l’acheter. Or, les prix ont connu une envolée vertigineuse sur le marché de gros européen. Début 2021, un mégawattheure d’électricité coûtait encore 53 euros à la Bourse de l’énergie de Leipzig (Allemagne). A la fin du mois d’août 2022, il avoisinait les 1000 euros. Cette situation s’explique par la flambée des prix du gaz, la guerre en Ukraine et l’arrêt de nombreux réacteurs nucléaires français en raison de travaux de maintenance. Par conséquent, les hausses seront marquées pour les ménages dépendant de Services industriels qui s’approvisionnent sur les marchés.
En revanche, les coûts de production indigène sont restés stables ces derniers mois. Ainsi, les sociétés, comme les Forces motrices bernoises (BKW), qui produisent elles-mêmes la quasi-totalité de leur électricité, n’augmenteront que modérément leurs tarifs, l’an prochain.
2. Tarif pour l’utilisation du réseau
La flambée des prix de gros de l’énergie n’est pas le seul facteur d’augmentation du kilowattheure. Les quelque 630 gestionnaires de réseau de distribution en Suisse facturent aussi le transport de l’énergie de la centrale au consommateur. Le montant dépend des coûts du réseau, c’est-à-dire des frais d’exploitation, d’entretien et d’extension. Or, l’an prochain, certains tarifs réseau vont augmenter eux-aussi significativement, jusqu’à 17% dans nos exemples (voir tableau) bien qu’ils soient déjà trop élevés depuis plusieurs années.
Le tarif facturé comprend une rémunération encaissée par les gestionnaires de réseau pour le capital investi. Ce «coût moyen pondéré du capital» (appelé WACC) est fixé chaque année par la Confédération. Les ménages doivent ainsi s’acquitter d’un taux d’intérêt de 3,83%, identique depuis cinq ans. Il permet aux gestionnaires d’engranger plus de 800 millions de francs.
Une situation que dénonce le Surveillant des prix, Stefan Meierhans: «Le taux devrait être plus bas depuis une dizaine d’années.»
A la mi-juin, il a recommandé au Conseil fédéral de l’abaisser à 2,11% «dans les plus brefs délais» afin de soulager les ménages et les entreprises. Selon lui: «Une telle décision permettrait de réduire les factures d’environ 350 millions de francs par an, sans avoir à craindre une baisse des investissements.» Il n’est pas le seul à s’indigner. Henrique Schneider, directeur adjoint de l’Union suisse des arts et métiers (USAM), qualifie le WACC de «bénéfice de base inconditionnel pour les barons de l’électricité».
Mais l’Office fédéral de l’énergie (OFEN) s’oppose à une baisse: le taux actuel serait adéquat pour les investissements considérables nécessaires au bon fonctionnement des réseaux électriques et au développement des énergies indigènes.
Les tarifs de réseau comprennent encore les «services système» (SDL) que Swissgrid facture pour garantir un approvisionnement sûr via le réseau de transport suisse à très haute tension. Or, l’an prochain, Swissgrid demandera 0.46 ct. par kWh au lieu 0.16 ct. Cette hausse se fera au détriment des consommateurs. Elle profitera aux actionnaires de la société, dont les Forces motrices bernoises (BKW) et Axpo.
3. Supplément de réseau
Les ménages paient également une redevance fédérale destinée à promouvoir la production d’électricité à partir de sources d’énergie renouvelables et l’assainissement des cours d’eau. Elle se maintiendra partout à 2.3 ct. par kWh en 2023, soit 103.50 fr. sur l’année pour un ménage-type.
4. Redevances aux collectivités publiques
Elles incluent les taxes et redevances communales et cantonales. Il s’agit de redevances de concessions ou de taxes énergétiques. Pour un même fournisseur, le prix de l’électricité peut donc varier d’un lieu à l’autre en fonction des taxes locales. Certaines communes n’en prélèvent pas, alors qu’elles sont importantes dans d’autres, par exemple de 5.38 ct./kWh à Lausanne. A certains endroits, elles feront l’objet d’une hausse importante, comme à Nyon, passant de 2.92 ct. à 3.42 ct. (+ 17,1%).
Enfin, n’oublions pas la TVA: avec une augmentation de 27% de leur facture d’électricité, les ménages verseront 90 millions supplémentaires au fisc via la TVA.
Gery Schwager / Sébastien Sautebin
Des réserves aussi élevées que l’an passé
Des barrages bien remplis
L’énergie hydraulique est essentielle pour l’approvisionnement en électricité de la Suisse. L’an dernier, 68% du courant consommé dans notre pays provenait de centrales hydroélectriques, dont 76% de production indigène. Le niveau d’eau des barrages revêt une grande importance. Fin août, les lacs de retenue helvétiques étaient remplis à 78,8% contre 83% environ il y a un an.
Des stocks de gaz pleins
Les fournisseurs suisses achètent du gaz en Allemagne, en France, en Italie et aux Pays-Bas. La plupart de ces pays ont beaucoup plus de gaz entreposé qu’il y a un an. En Allemagne, les réservoirs sont remplis à 85,6% (2021: 60,3%) et aux Pays-Bas à 79,2% (2021: à peine 50%). Selon l’Agence fédérale allemande des réseaux, les niveaux actuels du gaz sont «nettement plus hauts qu’en 2015, 2017, 2018 et 2021».
Des réserves de pétrole légèrement inférieures
En Suisse, les groupes pétroliers ont l’obligation de stocker des quantités d’essence, de diesel et de mazout équivalant à la consommation de quatre mois et demi. Le 2 septembre, ces réserves étaient remplies à 90%. Celles d’essence et de diesel s’élevaient chacune à environ 1,1 million de m3 et celles de mazout à 0,8 million de m3. En 2021, elles étaient pleines.