Elles semblent appartenir à une époque révolue, où les rubans d’autoroute et les voies ferrées ont dû piétiner des parcelles privées pour tracer leurs «rectilignes». Aujourd’hui, les expropriations sont plus rares, mais restent possibles. Selon la loi fédérale ad hoc (LEx), un tel droit peut être exercé «pour des travaux qui sont dans l’intérêt de la Confédération ou d’une partie considérable du pays ainsi que pour d’autres buts d’intérêt public reconnus par une loi fédérale».
Pressions cantonales
Ces conditions pourraient sonner comme un doux réconfort pour les propriétaires. Car le niveau des infrastructures est tel que les projets ne courent plus les rues. Il y a certes la nouvelle ligne ferroviaire Cornavin–Eaux-Vives–Annemasse (CEVA) ou des projets de lignes à très haute tension, comme en Valais (Chamoson-Chippis), qui font des émules. Mais, pour le reste, l’expropriation ne semble guetter que les propriétés situées à proximité de voies de communication nationales susceptibles d’être élargies ou agrandies.
Le hic, c’est que les législations cantonales viennent se superposer à la LEx. Autrement dit, chaque canton peut déposséder un propriétaire de son terrain sans que celui-ci puisse invoquer la LEx. Corollaire: l’intérêt public n’a plus besoin d’être national pour légitimer une expropriation. «Le droit d’expropriation pour cause d’utilité publique peut être exercé pour des travaux ou des opérations d’aménagement qui sont dans l’intérêt du canton ou d’une commune», stipule, par exemple, la loi genevoise.
L’arme ultime
Or, dans l’Arc lémanique, la pénurie de logements est telle que certaines zones sont décrétées d’utilité publique. Dès lors, l’expropriation est l’arme ultime qui permet de lever les obstacles bloquant le développement de nouvelles constructions. C’est le cas à Genève, où le Grand Conseil a accepté, en septembre 2010, d’exproprier les servitudes croisées qui empêchaient la réalisation d’un plan localisé de quartier (PLQ) au Petit-Saconnex. Et, comme la loi genevoise autorise le recours à l’expropriation lorsqu’un PLQ n’est pas réalisé après cinq ans, les propriétaires ont de quoi trembler.
Et, sur Vaud, le Conseil d’Etat a mis en consultation, cet été, un avant-projet de modification de la loi sur l’aménagement du territoire et les constructions (LATC). Afin de lutter contre la thésaurisation du sol, il instaure un droit d’emption permettant aux communes d’acheter, à certaines conditions, des terrains à bâtir vides, afin de réaliser des logements. De son côté, l’Asloca Vaud a déposé, en août, l’initiative «Stop à la pénurie de logements». Si le peuple l’accepte, les communes qui ne disposent pas de terrains constructibles pourront faire valoir leur droit d’expropriation aux propriétaires fonciers qui ne construisent pas dans un délai de cinq ans.
Comme quoi les processus d’expropriation ont encore de beaux jours devant eux!
Yves-Noël Grin
L’expropriation en bref
L’expropriation peut être matérielle ou formelle.
Dans le premier cas, le propriétaire ne perd pas ses biens, mais ses droits sont restreints. Il s’agit bien souvent d’une modification de l’affectation d’une parcelle. L’exemple le plus fréquent est la déclassification d’un terrain constructible en zone publique ou protégée. Généralement, ce préjudice, avant tout économique, donne droit à une indemnité.
L’expropriation formelle est nettement plus douloureuse, puisqu’elle prive son propriétaire d’une partie ou de la totalité d’un bien immobilier ou d’un terrain. Dès lors, l’indemnisation est une condition sine qua non du transfert de propriété. Dans un cas comme dans l’autre, le propriétaire peut faire opposition ou déposer un recours auprès du tribunal compétent. Mais ses chances d’obtenir gain de cause sont généralement maigres.