A force de se focaliser sur une étrange clause de rétroactivité (lire encadré), la révolution fiscale que souhaite l’initiative «Imposer les successions de plusieurs millions pour financer l’AVS» est passée au second plan. Or, maintenant que le texte a été officiellement validé avec plus de 110000 signatures valables, il vaut la peine d’examiner quels sont exactement les changements proposés. Car, lorsque les initiants écrivent: «98% des successions ne sont pas concernées par cet impôt», ce n’est pas vrai. Dans l’immense majorité des cas, au contraire, les héritiers seront bel et bien touchés, puisqu’ils vont payer… plus du tout ou beaucoup moins d’impôts!
L’initiative entend, en effet, remplacer l’imposition actuelle des successions, perçue par les cantons, parfois les communes, par un système fédéral pour l’ensemble du pays. L’idée est de faire une ponction unique de 20% dès que la masse successorale dépasse 2 millions de francs, mais rien au-dessous, quel que soit le degré de parenté (ou non) de l’héritier. Un tiers du revenu reviendrait au canton, les deux autres serviraient à financer l’AVS. Selon les initiants, l’opération devrait rapporter 3 milliards de francs par an.
De très grosses fortunes
Petit résumé: la majorité des héritiers va payer moins au fisc, mais la manne va être multipliée par trois, puisqu’on estime que l’imposition actuelle rapporte un peu moins d’un milliard aux cantons et aux communes. Comment est-ce possible? Par un simple jeu de répartition qui ressemble logiquement à celui de la richesse: selon une étude du Fonds national suisse de la recherche scientifique*, une bonne moitié des légataires touche moins de 2% de la somme totale des successions (28,5 milliards en 2000). Mais, à l’inverse, 10% d’entre eux héritent plus de 75% de ce même total. C’est donc bien une imposition des très grosses successions qui doit permettre de tripler le chiffre d’affaires, tout en allégeant la taxation de l’immense majorité des «petits» héritages.
Les deux tableaux ci-contre comparent la situation actuelle à celle qui pourrait prévaloir si l’initiative était approuvée.
Aujourd’hui, c’est le canton (et parfois la commune) de domicile du défunt qui impose l’héritier sur la part qu’il touche. Exemple dans le tableau 1: le fisc valaisan va soustraire 50 000 fr. des 200 000 fr. que la concubine du défunt va toucher. Mais celui de Berne ne demandera «que» 12 441 fr.
Le fisc reste bredouille
Avec l’initiative, c’est la masse successorale (la totalité de l’héritage) qui sera imposée avant sa répartition, mais pas si elle est inférieure à 2 millions de francs. Donc, avec notre premier exemple, l’héritier genevois sans lien de parenté toucherait l’intégralité de son héritage, alors qu’il doit payer 104 496 fr. aujourd’hui. Or, selon la même étude du Fonds national, la masse successorale moyenne en Suisse est de 456 000 fr. et la part héréditaire moyenne de 178 700 fr.
Voyons pourtant ce qui va se passer avec un héritage de 2 millions issu d’une masse successorale de 3 millions. Aujourd’hui, le verdict est publié dans le tableau 2, où l’on voit que la ponction fiscale dépasse parfois 50% (GE et VD). Avec l’initiative, une fois la franchise (2 mio) déduite, la Confédération va retirer 20% du solde (1 mio), donc 200 000 fr., ce qui correspond à une imposition totale de 6,66%, donc 133 333 fr. pour tout le monde, le conjoint (ou le partenaire enregistré) excepté. Il n’y a donc que les descendants (sauf dans le canton de Vaud) et les ascendants (sauf dans les cantons de Berne, du Jura et de Vaud) qui vont payer plus qu’avec le système actuel.
Refrain connu
Il y a certes quelque chose d’apparemment injuste, puisque ce sont les parents (conjoint excepté) les plus proches qui sont directement lésés. Sauf qu’ils le sont à partir de sommes extrêmement importantes et que cela a le mérite d’avantager la majorité des petits héritiers – enfants d’un premier mariage et concubins inclus – et de renflouer les caisses de l’AVS. Chiche qu’economiesuisse va pourtant nous rechanter le refrain des grosses fortunes qui, ainsi, vont quitter la Suisse?
Christian Chevrolet
*H. Stutz, T. Bauer, S. Schmugge, «Erben in der Schweiz», Zurich, 2007 (en allemand seulement).
Pour télécharger les tableaux comparatifs, se référer à l'encadré au-dessous de la photo.
Clause rétroactive contestée
C’est la clause qui a surtout fait parler de l’initiative jusqu’à aujourd’hui: le nouveau système d’imposition entrera en vigueur le 1er janvier de la deuxième année suivant son acceptation par le peuple. Mais, surtout, les donations seront imputées rétroactivement à partir du 1er janvier 2012. Du coup, certains contribuables fortunés se sont précipités chez leur notaire pour faire des donations à leurs enfants avant la date butoir.
La Fédération suisse des avocats estime que cette clause ne correspond pas aux conditions fixées par le Tribunal fédéral sur l’admissibilité de la rétroactivité, d’autant qu’elle concerne une période de quatre à sept ans. En précisant: «Cela ne remet pas en question la validité elle-même de l’initiative, mais porte atteinte à la sécurité du droit et, par conséquent, à la confiance de la population dans la loi écrite.»