Sur le tableau de bord de la camionnette postale, l’horloge affiche 11 heures 25. Le chauffeur André* vient de livrer deux paquets dans un lotissement argovien. A l’arrière du véhicule se trouvent encore neuf colis de denrées Migros qui, selon le plan, sont destinés à un ménage du même quartier. Le livreur ne profitera toutefois pas d’être sur place pour les déposer: ils sont commandés pour 12 heures précises. André livrera donc d’autres paquets avant de revenir déposer ceux-là. «Cela n’a pas beaucoup de sens, mais nous devons le faire», se résigne-t-il.
Ces trajets superflus, Stéphane* les connaît bien, lui aussi. Cela fait quinze ans qu’il livre des paquets pour le compte de La Poste dans le Nord-Ouest de la Suisse. Depuis que l’entreprise transporte des paniers de commissions commandés sur Internet, Stéphane dit passer plusieurs fois par jour par certaines rues. En cause, là encore: les créneaux horaires que les clients peuvent choisir.
Les emplettes alimentaires sur Internet connaissent un boom. Le cabinet conseil KPMG a constaté une hausse de 60% des commandes, ces cinq dernières années et les distributeurs essaient de se démarquer pour faire face à la concurrence.
Qui fait ses commissions sur migros.ch ou coop.ch peut choisir jusqu’à dix créneaux de livraison sur une journée. Aldi se montre encore plus flexible avec la possibilité de choisir à l’heure près.
Toujours plus vite...
Chez le discounter Aldi, les colis proviennent du magasin le plus proche. Alors que, chez Coop et Migros, ce sont des centres de distribution qui s’occupent des commandes en ligne. Coop entend réduire les délais de livraison de 3,5 à 3 heures. Migros teste actuellement des délais courts dans la région de Berne et la ville de Zurich.
Migros, Coop et Aldi affirment que les commandes sont regroupées et effectuées avec le moins de trajets possibles. Mais ils n’ont pas voulu nous dire le nombre de camionnettes à leur disposition.
Les entreprises de livraison se montrent plus loquaces. Les flottes de La Poste – mandatée par Migros et Coop –, DPD, Planzer Paket et Quickpac ont connu une croissance de 25% en cinq ans, passant de 4989 à 6166 véhicules, selon les chiffres qu’elles nous ont transmis. Et cela se voit sur les routes, où ces camionnettes sont de plus en plus présentes. Selon les statistiques fédérales sur le transport de marchandises, 410 402 véhicules de livraison étaient immatriculés en Suisse en 2021. Soit 80% de plus qu’en 2000 (227 316). En comparaison, durant la même période, le nombre de camions a reculé de 43 009 à 41 694.
… Et Toujours moins chargés
Malgré leur nombre croissant, les camionnettes de livraison transportent une part en baisse des marchandises livrées. L’Office fédéral de la statistique (OFS) mesure la performance de transport en tonne-kilomètre, c’est-à-dire le nombre de kilomètre parcouru multiplié par le poids de la marchandise transportée en tonne. La part des camionnettes de livraison aux tonnes-kilomètres réalisées en Suisse a baissé de 6,1% à 5,5%, ces vingt dernières années. Et ce, alors même que le nombre de kilomètres effectués a augmenté de 38% en dix ans.
Des chiffres qui n’étonnent pas, quand on pense aux trajets à vide d’André et de Stéphane.
* Noms connus de la rédaction
Monique Misteli / Roger Müller / sp