Au début du mois de juin, Guy Wagner (nom d’emprunt), découvre dans sa boîte aux lettres un courrier dont il se serait bien passé: une facture envoyée par la société de recouvrement Obligo, au nom d’une entreprise appelée CMetrix Technologies Grup basée en Roumanie. Montant facturé: 149.90 fr. pour un abonnement d’un an à un service de vidéos pour adultes à la demande, souscrit à la fin janvier. Le hic: notre lecteur sédunois affirme ne pas avoir sollicité cet abonnement.
Guy Wagner est loin d’être le seul à avoir reçu des factures surprises d’Obligo. Cela fait des années que cette entreprise est connue des services de protection des consommateurs et des autorités. Un tour sur notre plateforme plaintes.ch, en donne un aperçu. Dans ses réponses, Obligo n’est pas uniforme. S’il lui arrive, dans certains cas, d’annuler la facture, dans d’autres, la société renvoie au prestataire. «C’est le fournisseur de services qui décide de la suite à donner à la facture», justifie Obligo.
L’ombudscom pas compétent
Alors sur qui compter pour faire valoir ses droits? L’ombudscom et ses conciliations peu coûteuses et faciles d’accès? Raté. Ce service n’est compétent que pour les services qui sont facturés par les opérateurs. Autrement dit, si Guy Wagner s’était vu facturer 149.90 fr. par son opérateur, il aurait pu recourir à cette médiation, mais comme CMetrix Technologies Grup passe par Obligo, cela n’est pas possible. Obligo serait-il un moyen d’échapper à la compétence du service de conciliation?
L’ombudscom Oliver Sidler l’admet: «Il est vrai que certains fournisseurs de services à valeur ajoutée souhaitent éviter l’intervention de l’organe de conciliation en facturant eux-mêmes leurs prestations ou par l’intermédiaire d’un organisme qui n’est pas un fournisseur de services de télécommunication.» Dans ce contexte, l’Office fédéral de la communication (Ofcom) concède qu’un changement de loi serait nécessaire, afin d’élargir le champ d’action de l’ombudscom.
De toute évidence, Obligo maîtrise bien son sujet. Un détail piquant l’explique sans doute: le président de son conseil d’administration, l’avocat bernois Hans-Ulrich Hunziker, a siégé plusieurs années au Conseil de fondation de l’ombudscom. Il dirigeait alors l’Association des fournisseurs de services à valeur ajoutée SAVASS, membre fondateur du service de conciliation. Son mandat a été suspendu, puis résilié à la suite de poursuites judiciaires contre Obligo.
Le SECO met en garde
Si le Service juridique de Bon à Savoir propose une marche à suivre pour s’opposer aux factures injustifiées (lire encacré), il n’encourage pas moins à dénoncer les cas au Secrétariat à l’Economie (SECO). En effet, ce dernier rassemble les réclamations de pratiques commerciales problématiques. Depuis l’entrée en vigueur de la nouvelle loi sur la concurrence déloyale en 2012, il est habilité à intervenir sous forme d’avertissements ou d’actions civile ou pénale. A ce titre, le SECO nous indique avoir envoyé une mise en garde à CMetrix Technologies Grup – le débiteur de Guy Wagner – en août dernier.
La justice prend son temps
Obligo est également dans le collimateur du SECO. Ce dernier a déposé en 2014 déjà une plainte pénale auprès de la justice schwyzoise, où la société a son siège. Le Ministère public a classé le dossier à deux reprises avant de, finalement, inculper les responsables de la société en février dernier. Il leur reproche d’avoir faussement fait croire aux consommateurs qu’ils profitaient d’une offre gratuite. Ils sont aussi accusés d’avoir rendu du matériel pornographique accessible à des jeunes de moins de 16 ans. Procès à suivre.
Par ailleurs, le SECO et l’Office fédéral de la communication, Ofcom, ont durci, en 2015, l’Ordonnance sur l’indication des prix (OIP). Les tarifs des services doivent notamment être indiqués dans le bouton d’achat que le client clique sur internet. Or, l’ombudscom constate que ces mesures ne sont pas toujours respectées. Un coup d’œil dans les statistiques des plaintes déposées au SECO dans la catégorie «tromperie» semble aussi indiquer qu’elles font chou blanc. «Nous sommes d’avis que les modifications de l’Ordonnance sur l’indication des prix ont eu un effet bénéfique pour le consommateur. Dès lors, il n’est pas prévu de modifier la législation actuelle», commente le SECO.
Echec de l’autorégulation
De son côté, la branche des services à valeur ajoutée s’était dotée, en 2006, d’une association, la SAVASS, qui promettait de mettre de l’ordre grâce à un code de déontologie. L’idée était notamment de protéger les mineurs des contenus pornographiques. Une démarche alors applaudie par l’Ofcom.
L’autorégulation s’est avérée inefficace, a conclu une étude de l’Université de Zurich en 2015, constatant que les intérêts économiques des prestataires primaient sur l’intérêt à protéger les consommateurs. Entre-temps, la SAVASS semble s’être évaporée dans la nature. Son président, l’ancien conseiller national UDC argovien Ulrich Giezendanner, avait quitté le navire lorsque le SECO avait porté plainte, en 2014, contre Obligo (alors PayPay), dont le président était aussi le gérant de la SAVASS. La SAVASS a disparu du Registre du commerce et son site internet n’est plus actif.
Obligo, pour sa part, se juge injustement attaquée. La société schwyzoise souligne n’être que l’émetteur de factures. Si un client s’estime trompé, il devrait s’adresser directement au fournisseur de services impliqué, dit-elle. A ses yeux, le procès à son encontre est une «farce».
Facture injustifiée: réagissez!
A la réception d’une facture injustifiée émanant d’une société de recouvrement, le Service juridique de Bon à Savoir conseille de s’y opposer immédiatement par courrier recommandé et d’ignorer, par la suite, les rappels de la société. Dans de rares cas, il arrive que la société mette la personne aux poursuites. Si cela devait être le cas, la personne visée doit faire opposition dans les délais. La société de recouvrement devra alors prouver l’existence de la créance, ce qu’elle devrait avoir du mal à faire si la facture est effectivement injustifiée.
Vous trouverez sur notre site internet de plus amples informations et marches à suivre lorsque l’on est confronté à une facture ou à une autre créance contestée. Rendez-vous sur bonasavoir.ch ➛ Outils et calculateurs ➛ Factures, poursuites: que faire?.