C’est un peu le jeu des différences. Avant, la plaque de 250 grammes de la marque «Le Beurre» était ornée du sigle «Suisse garantie». Actuellement, ce dernier a disparu: l’emballage indique une provenance européenne, tout en conservant la mention «Produit en Suisse».
Depuis quelques semaines, pratiquement tout le beurre de cuisine vendu dans la grande distribution vient de l’UE. Pourquoi? Parce que les réserves suisses sont à sec. L’Office fédéral de l’agriculture (OFAG) a donc autorisé l’importation extraordinaire de 2800 tonnes, afin de renflouer les stocks. Cela représente environ 7% de la production annuelle (40 000 tonnes par an).
Le phénomène a fait bondir de nombreux consommateurs. Furieuses, les associations de producteurs de lait critiquent le dégât d’image pour la marque «Le Beurre» profilée comme un produit indigène soumis à des conditions de production plus strictes que dans l’UE. Interpellé par plusieurs parlementaires, le Conseil fédéral estime qu’il n’y pas tromperie du consommateur, dans la mesure où les lois sont respectées.
Le lait ne manque pourtant pas!
Mais cela va bien au-delà de la crise marketing. Des associations comme Uniterre dénoncent un système qui profite aux distributeurs et aux transformateurs, mais pas aux producteurs. Car, tous les acteurs du marché s’accordent à dire que la production de lait en Suisse serait suffisante. Le problème vient avant tout de sa mauvaise répartition.
L’explication est financière. Les protéines, qui résultent de la production de beurre, sont un sous-produit qui ne vaut actuellement rien ou presque. Dans ce contexte, il est bien plus intéressant de produire du fromage, en raison, entre autres, de la prime fromagère versée par la Confédération depuis la libéralisation du marché. Si ces aides étatiques ne sont pas contestées pour les fromages à haute valeur ajoutée (AOC, etc.), elles incitent les transformateurs à fabriquer de plus en plus de fromages à bas prix pour l’exportation. Conscient de cette dérive, l’OFAG a proposé de baisser la prime dans le cadre de sa politique agricole 2022. Pas favorable, la branche a préconisé un échelonnement que l’OFAG estime trop compliqué à mettre en place. Autant dire que rien ne va changer de sitôt…
Les producteurs trinquent
Dans l’immédiat, IP Lait propose à ses membres de soutenir financièrement l’exportation de protéines et de réduire l’utilisation de beurre suisse dans les produits d’exportation, comme les biscuits et les flûtes. Elle espère ainsi que davantage de beurre indigène restera en Suisse. Ces soutiens, elle les finance grâce à des fonds alimentés par les producteurs. L’organisation sectorielle Beurre (OSB), qui réunit les principaux transformateurs, soutient ces mesures visant à «avoir davantage de matière première à disposition pour la production de beurre». Des mesures qui, selon Uniterre, ne profiteront une fois de plus qu’aux transformateurs et pas aux producteurs.
La pression des géants orange
S’il est si peu intéressant de produire du beurre, c’est peut-être aussi à cause de l’énorme pression qu’exerce le duopole Migros et Coop. Il y a treize ans, les deux géants orange se sont livrés une guerre des prix du beurre. C’est à ce moment-là que Migros a introduit sa marque maison Valflora. Elle avait même menacé de produire son beurre dans l’UE.
Du côté des fabricants, on se garde prudemment de lancer la pierre. Si Emmi reconnaît qu’il y a une pression, elle estime qu’elle n’est pas la cause de la situation actuelle. Thomas Zwald, secrétaire général de Cremo, affirme que la branche a pu maintenir les prix, ces dernières années, et se félicite d’avoir pu imposer la hausse du prix de la matière grasse à partir du 1er juillet.
En effet, l’OSB a annoncé une hausse du prix indicatif de la matière grasse de 60 ct. par kilo. Coop et Migros ont, dans la foulée, augmenté les prix de vente en fonction. Mais, au final, est-ce que cette hausse arrive dans la poche des producteurs? Cremo indique avoir augmenté la rémunération du prix du lait. Même son de cloche de l’IP qui dit se baser sur les dires des coopératives de producteurs. Le sondage, sur le prix du lait au mois de juillet, devrait permettre d’y voir plus clair, si tant est qu’il est possible de déchiffrer un prix que les experts eux-mêmes qualifient d’opaque. Chiffres que la Fédération des producteurs ne disposait pas encore à l’heure de mettre sous presse Bon à Savoir.