«Paiement immédiat svp!» Le titre imprimé en gros caractères au sommet de la missive ne laisse pas place au doute: la facture que Leuka Favre-Galliand tient entre les mains a été envoyée par la société de recouvrement Debitors, mandatée par l’entreprise de vente par correspondance La Redoute. Lourde, qui plus est: près de 900 fr., pour des marchandises non spécifiées. La douloureuse est adressée à sa fille, qui vit au domicile familial. Le problème? Elle n’a jamais conclu le moindre achat à La Redoute et n’a pas reçu non plus des articles qu’elle n’aurait pas commandés.
Il faut faire vite: le courrier l’informe que l’impayé pourrait aboutir à une procédure de poursuite. La fille de notre lectrice s’alarme et téléphone sur-le-champ à la société de recouvrement. De fil en aiguille, elle se rend compte que quelque chose cloche dans le dossier: si son adresse et son nom – courant – sont corrects, tel n’est pas le cas de sa date de naissance, de son numéro de téléphone et de son adresse électronique. Seule conclusion possible: quelqu’un a usurpé son identité pour passer commande.
Plusieurs victimes
Suivant les conseils de son interlocutrice, elle dépose une plainte auprès de la police, puis en adresse une copie à Debitors. Mais, un mois plus tard, rebelote. La même société l’avertit d’un nouvel impayé d’un montant de 170 fr., à régler dans les plus brefs délais. Contrainte de le contester de nouveau, Leuka Favre-Galliand s’inquiète: «N’ayant reçu aucun retour de Debitors, je crains que ma fille ne se retrouve aux poursuites...»
Selon nos informations, le cas est désormais entre les mains de la police vaudoise. Un suspect aurait été identifié sur la base de la première adresse utilisée. Et la fille de notre lectrice ne serait pas la seule victime: la marchandise envoyée à cette adresse aurait été commandée sous plusieurs noms différents, pour un total d’environ 4000 fr. Mais, fort heureusement, la menace de poursuites s’éloigne: «Les créanciers nous ont confirmé qu’il s’agissait vraisemblablement de cas d’usurpation d’identité. A la suite de cette information, nous avons procédé au bouclement complet et sans suite de ces deux dossiers», nous a informé une juriste de la société de recouvrement.
Manipulation facile
Mais comment le fraudeur a-t-il pu abuser si facilement le site de La Redoute? «On n’a aucun moyen de vérifier l’identité de la personne qui passe commande, admet Marc Plattner, directeur de La Redoute Suisse. Mais l’adresse de la livraison ne peut pas différer de celle de la facturation.» Alors, pourquoi la marchandise n’est-elle pas arrivée dans la boîte aux lettres de notre lectrice? «Juste après la livraison, quelqu’un a modifié l’adresse sur le compte client en ligne», explique Marc Plattner. Autrement dit, un individu a pioché les coordonnées de la fille de Leuka Favre-Galliand sur internet, puis a fait livrer la marchandise ailleurs. Une fois le butin récupéré, il a modifié son compte client pour y faire figurer l’adresse réelle de la victime… qui n’a reçu, elle, que le rappel de la facture impayée!
Vincent Cherpillod
Précautions
Porter plainte, mais comment?
«Les cas d’usurpation d’identité sont malheureusement en augmentation, note Margaux Zahler, juriste de la société de recouvrement Debitors. Lorsqu’un cas semblable se manifeste, nous demandons à la victime de déposer une plainte pénale, puis de nous en faire parvenir une copie. Nous bloquons alors le dossier.»
Porter plainte d’accord, mais pour quel délit, au juste? Le hic, c’est que l’usurpation d’identité n’est aujourd’hui pas un délit reconnu en tant que tel par le Code pénal. Le plus souvent, la police enregistre la plainte sous l’angle de l’escroquerie. Sur le procès-verbal de la fille de notre lectrice, l’infraction est qualifiée d’«atteinte astucieuse pécuniaire à autrui». Les choses pourraient toutefois changer: le Parlement vient d’adopter une motion du conseiller aux Etats Raphaël Comte (PLR/NE), qui vise à ajouter cette infraction directement dans le Code pénal.
Dans l’immédiat, un passage par la case police reste essentiel, afin d’avertir au plus vite les créanciers du problème et d’éviter la mise aux poursuites. Et, si c’est un commandement de payer qui arrive, il faut impérativement s’y opposer, le cas échéant, dans le délai légal de dix jours. Debitors s’engage d’ailleurs à demander la radiation de la poursuite et à prendre les frais à sa charge lorsqu’un débiteur peut prouver qu’il n’était pas concerné par la créance.