«Tant de nourriture gâchée, ça m’énerve! Quand je vois les invendus dans les supermarchés le samedi après-midi, liquidés à 50% avant la fermeture, puis jetés à la poubelle, ça me fait vomir!» Le coup de gueule de ce consommateur sur le site d’un quotidien suisse est-il justifié? Interrogés par Bon à Savoir, Coop, Migros, Denner, Manor, Aldi et Lidl affirment tout mettre en œuvre pour réduire le gaspillage au strict minimum.
Des chiffres? Nos interlocuteurs rechignent à en fournir. Coop affirme néanmoins jeter moins de 0,2% de ses denrées alimentaires. Chez Migros, 98,6% auraient été vendues ou remises à des organisations caritatives en 2014. Le solde aurait été recyclé, utilisé pour l’alimentation animale ou converti en biogaz voire en compost.
Remis aux organisations caritatives
Les grands détaillants expliquent que leur lutte contre le gaspillage s’effectue sur trois grands axes: les commandes des succursales, d’abord, qui doivent correspondre au plus près à la demande des clients. Les rabais ciblés, ensuite, de 25%, 30% ou même de 50% qui favorisent la vente des marchandises arrivant à échéance.
Finalement, les six grands détaillants contactés nous ont tous affirmé mettre gratuitement leurs invendus redistribuables à disposition d’organisations caritatives. Une façon économique pour eux de traiter le problème et positive en termes d’image.
La Communauté d’intérêt du commerce de détail suisse, composée de Coop, Migros, Manor et Denner, a d’ailleurs bien compris l’enjeu: en 2013, elle s’est engagée à offrir 680 000 fr. chaque année pendant trois ans aux organisations Table couvre-toi et Table Suisse pour couvrir leurs frais logistiques. Ces dernières viennent chercher les denrées encore parfaitement consommables dans leurs magasins et les redistribuent à des institutions sociales.
Lorsque c’est possible, les succursales offrent le solde à des zoos ou à des exploitations agricoles. Et ce qui n’est plus consommable est, de préférence, collecté par des installations de biogaz plutôt que simplement détruit. Cette stratégie globale semble efficace, puisque, selon une étude du WWF, le commerce de détail n’est responsable qu’à hauteur de 5% des deux millions de tonnes d’aliments gaspillés en Suisse, chaque année (lire encadré).
Diktat de l’apparence
Les grandes enseignes n’ont pas voulu nous donner de chiffres sur les quantités remises aux associations. Mais le diktat impitoyable de l’apparence génère indubitablement sa quantité de dommages collatéraux. «Il suffit qu’un abricot soit un peu taché ou une salade un peu défraîchie pour que nous les enlevions de nos rayons, car ils ne correspondent plus à nos critères de qualité. Mais ces denrées sont encore parfaitement consommables», explique Horacio Pereira, gérant de Manor à Monthey (VS).
A elle seule, Table Suisse récolte ainsi, chaque jour, près de 18 tonnes de nourriture. Les quantités sont telles que «la difficulté n’est pas d’avoir de la marchandise, mais de la distribuer», relève de manière surprenante Baptise Marmier, responsable de Table Suisse, région Vaud. Il manque ainsi des structures pour l’offrir à certaines populations, comme les personnes du troisième âge.
Ours et primates se régalent
Lorsque les organisations caritatives n’emportent pas certaines marchandises, les exploitations agricoles et les zoos y trouvent leur compte. Celui de Servion (VD) prend chaque semaine une demi-tonne en moyenne de fruits et de légumes à Lausanne, à raison de trois tournées hebdomadaires en camionnette effectuées après le passage des associations. «Nous enlevons ce qui est gâté lorsque nous préparons la nourriture. Nous la donnons surtout aux primates et aux ours, explique son directeur, Roland Bulliard. Ces derniers raffolent des carottes, mais il est impossible de leur faire avaler une banane!»
Pour les denrées périmées ou avariées, des contrats sont passés avec des installations de biogaz qui les transforment en gaz et en compost. Selon Yves Membrez, responsable romand de l’Association faîtière Biomasse Suisse, «tout peut y passer: les produits laitiers et carnés, les fruits, les légumes, le pain, etc. Ces déchets brûlent mal dans les usines d’incinération, mais ils ont un gros potentiel en termes de production de gaz.»
Sébastien Sautebin
45% du gaspillage vient des ménages
Selon un rapport du WWF et defoodwaste.ch, près de deux millions de tonnes de denrées alimentaires intactes sont jetées chaque année en Suisse. Ces pertes sont dues notamment à l’agriculture (13%), à l’industrie de la transformation (30%) et, surtout, aux ménages (45%). Le commerce de détail n’en est responsable qu’à hauteur de 5%. Il faut noter qu’il s’agit d’une estimation et que, en raison du manque de données, le WWF s’est basé en grande partie sur la Grande-Bretagne pour transposer, ensuite, les chiffres à la Suisse.