Que ce soit le dernier gadget high-tech ou l’ultime paire de pantalons tendance, les occasions de dépenser ne manquent pas en cette période d’avant Noël. Quelques billets rouges, un ou deux billets bleus: le coût d’un écart pas trop méchant ou d’un beau cadeau. Les prestataires du Buy now pay later l’ont bien compris. Autrefois, le fait de fractionner une facture en montants plus petits pour rembourser en plusieurs fois était réservé à des achats onéreux: un canapé, une machine à laver, une voiture... Aujourd’hui, le paiement différé est proposé pour quantité de produits à moins de 500 fr.
Cette limite n’est pas le fruit du hasard. La loi sur le crédit à la consommation (LCC), qui accorde une certaine protection aux consommateurs, ne s’applique pas pour les crédits inférieurs à 500 fr. Au-dessous de ce seuil, les commerçants ou les entreprises de recouvrement qui rachètent leurs créances n’ont pas besoin d’effectuer de contrôle de solvabilité, coûteux en temps et en ressources, afin de vérifier la capacité à payer et le niveau d’endettement de l’acheteur.
Pour ces petits crédits, les prestataires du paiement différé peuvent proposer un paiement échelonné à n’importe quel consommateur. L’offre alléchante de rembourser plus tard est parfois accompagnée d’un argument choc: celui d’essayer le produit durant ce laps de temps et de le retourner en cas d’insatisfaction. Pratique, moderne, flexible, arrangeant, le paiement fractionné aurait tous les mérites, à en croire les nombreux commerces qui vantent cette méthode de paiement. En ligne comme dans les magasins, les consommateurs sont souvent sollicités d’emblée. Rien de moins logique: selon les sociétés de recouvrement, proposer cette option à la clientèle permettrait une hausse jusqu’à 20% du chiffre d’affaires.
Risque d’endettement
Reste que les paiements différés peuvent être dangereux. Ils entraînent régulièrement une surconsommation et un risque de surendettement. C’est ce que répètent inlassablement les institutions sociales, Caritas et le Centre social protestant (CSP) en tête. «Ces méthodes donnent l’illusion que l’on va payer des produits moins chers ou plus facilement» et poussent à la dépense, assure Mélanie Dieguez, responsable du Service social de Caritas Vaud, qui comprend une section de gestion des dettes. «Elles visent surtout les personnes avec peu de moyens, qui ne peuvent pas se permettre une grosse dépense en une fois.»
Premières ciblées, les personnes à bas revenus risquent de s’endetter en contractant plusieurs crédits en même temps et en perdant la vue d’ensemble sur leurs finances. Caritas et le CSP confirment l’existence de cas chez eux, précisant que ces dettes aggravent le plus souvent une situation déjà précaire. Difficile d’évaluer le nombre exact de personnes concernées car, souvent, les institutions sociales sont sollicitées trop tardivement. Parfois des années après le début du processus d’endettement, note
Mélanie Dieguez.
Des frais en cascade
Ce n’est pas tout: des frais importants peuvent amplifier ce mécanisme déjà pernicieux. Ils vont parfois aller jusqu’à faire doubler la facture initiale, voire bien pire, indique Rémy Kammermann, juriste au CSP. Comment cette machine s’emballe-t-elle? Contrairement à une idée reçue, ce sont rarement les intérêts sur les paiements qui plongent les consommateurs dans la détresse, mais plutôt des frais de poursuite et des pénalités de retard salées – même pour des achats peu onéreux à la base – ou qui prennent très rapidement l’ascenseur au fil des semaines. Avec le Buy now pay later, un acheteur peut se retrouver piégé dans un cercle vicieux dans lequel les frais font grimper la facture initiale jusqu’à rendre le remboursement impossible.
Ces derniers mois, plusieurs lecteurs de Bon à Savoir nous ont signalé avoir reçu des factures envoyées par des entreprises de recouvrement qui rachètent les créances des commerçants et en deviennent propriétaires. Résultat: jusqu’à 300 fr. de frais dits administratifs pour un rappel de facture de 15 fr. ou, encore, des pénalités de plus de 100 fr. pour non-respect des échéances de paiement.
Des situations qui créent souvent la panique et le début de l’enlisement. Pourtant, de telles demandes ne sont souvent pas justifiables et les entreprises de recouvrement le savent. Il est possible de contester ces factures en ne payant que les frais prévus dans le contrat (lire l’encadré). Mais attention, les frais exigibles peuvent être dissimulés dans les conditions générales de vente (CGV), habituellement bien trop longues pour être lues. Et pour les boutiques en ligne, on trouve souvent ces CGV non pas directement dans le contrat, mais derrière un lien discret en bas de page.
Payez ce qui est juste
Un conseil avec le Buy now pay later: mieux vaut lire précisément ce que l’on signe et évaluer ce que l’on est en mesure de payer dans les délais, même si les entreprises de recouvrement n’ont pas pour but de vous noyer sous les dettes. «Nous menons toujours des contrôles de solvabilité, mais ils sont plus poussés dès 500 fr. pour être conformes à la loi», note Jean-Christophe Calmes, fondateur de Swissbilling. Au-dessous, il s’agit de simples vérifications dans un fichier privé de la société Crif AG, dont les informations sur la solvabilité de clients proviendraient de plus de 40 sociétés de recouvrement.
Concernant les frais de rappel de Swissbilling, Jean-Christophe Calmes promet qu’«ils sont inscrits dans les CGV». Et d’assurer que ces frais ne dépassent pas 10 à 20 fr. pour toute facture. Selon ses propres dires cependant, d’autres parmi les dizaines de spécialistes du recouvrement en Suisse n’hésitent pas à saler la note.
Si vous recevez des frais de retard astronomiques, gardez à l’esprit que la société de recouvrement qui a racheté la dette n’a pas été lésée par votre impayé: récupérer l’argent fait partie de son business. Ce n’est pas à vous de payer cette entreprise à la place du commerçant qui l’a contactée. Ne réglez que des indemnités raisonnables pour le travail administratif. Pour le reste, ne lâchez rien! Le plus souvent, vos créanciers ne prendront pas le risque qu’un tribunal se penche sur leurs pratiques douteuses et vous laisseront tranquilles. Attention encore à résister aux prétendus gestes de réduction de factures ou délais inventés pour vous faire plier…
Gilles D’Andrès
Quand y a-t-il abus?
Pas simple de savoir qui abuse des frais et des pénalités ou favorise l’endettement de particuliers. Outre les crédits inférieurs à 500 francs ou supérieurs à 80 000 fr., la loi sur le crédit à la consommation (LCC) ne s’applique pas dans les cas suivants: si les entreprises ne réclament pas d’intérêts, cela à condition que le client accepte de rembourser le crédit en une seule fois, et si le délai de paiement imposé ne dépasse pas trois mois. C’est alors le droit civil suisse qui prend le relais. Mis à part encadrer les rapports contractuels entre deux parties, il interdit l’emploi de conditions générales abusives à l’encontre des consommateurs, mais sans donner d’exemples. Seul un tribunal pourra se prononcer sur le caractère abusif ou non des CGV, au cas par cas.
Les sociétés de facturation et de recouvrement estiment la LCC très protectrice en comparaison européenne. De l’avis de Caritas et du CSP, elle est, au contraire, beaucoup trop lacunaire et son champ d’application devrait être étendu à l’heure où l’Union européenne s’attèle à renforcer sa propre législation en la matière.