Avec ou sans le nucléaire? Le débat continue de diviser, alors que le Conseil fédéral, suivi par le Conseil national, a décidé d’abandonner cette énergie d’ici à 2034.
Certes, le drame de Fukushima est encore dans toutes les mémoires. Mais alors que, selon les indications de la branche, la fission de l’atome permet de produire de l’électricité à un prix qui oscille entre 4 et 7 ct. le kilowattheure (kWh), la même quantité d’énergie coûte respectivement 20 ou 35 ct. selon qu’elle est produite par une éolienne ou des panneaux photovoltaïques, et entre 10 et 20 ct. si elle provient d’un barrage. Un argument de poids pour ceux qui voudraient continuer à jouer la carte de l’atome.
L’ancienne ministre française de l’Environnement, Corinne Lepage, jette toutefois un pavé dans la mare dans son récent ouvrage, La vérité sur le nucléaire, qui démontre que les véritables coûts du nucléaire sont très largement sous-évalués, puisqu’ils «n’intègrent pas les charges que représentent le démantèlement des centrales et le traitement des déchets, ni les nouvelles mesures de sécurité». Au final, la facture serait donc très proche de celui de l’éolien.
Coûts sous-évalués
Certes, la situation est un peu différente en Suisse, puisque, légalement, les coûts liés à la gestion des déchets et au démantèlement des centrales sont à la charge des exploitants. Inclus dans le prix de l’électricité nucléaire, ils sont donc financés par le consommateur, avec un prélèvement de 0,8 ct. en moyenne par kWh.
Faisons toutefois le calcul:
- Le montant total à couvrir est, aujourd’hui, estimé à 15,5 milliards de fr.: 13,3 milliards pour la gestion des déchets et 2,2 milliards pour la désaffectation.
- Pendant la durée de fonctionnement des centrales, les exploitants doivent payer les coûts de gestion des déchets, notamment ceux liés à la construction de dépôts intermédiaires ou aux recherches de la Société coopérative nationale pour le stockage des déchets radioactifs (Nagra), soit 7 milliards selon l’Office fédéral de l’énergie (1).
- Les 8,5 autres milliards, dévolus à la désaffectation des centrales et à la gestion des déchets après la mise hors service des installations, seront financés par deux fonds. Soumis à la surveillance du Conseil fédéral, ils tablent sur une durée d’exploitation des centrales de 50 ans et visent un rendement annuel de 5%. Or, à l’instar des caisses de pension, la fortune de ces deux fonds est placée sur les marchés financiers et, par conséquent, soumise aux aléas boursiers. Ainsi, au moment de la crise des subprimes, leur rendement a chuté de presque 19%. Ils se sont certes repris depuis, leur fortune atteignant 4,2 milliards de fr. à la fin du premier trimestre 2011, mais on est encore loin des 8,5 milliards requis et les actuels remous de la Bourse ne vont rien arranger.
Aucune garantie
Le financement n’est donc pas garanti à 100% comme les partisans de l’atome le déclarent. Sans compter que les coûts risquent fort de prendre l’ascenseur: les démantèlements à l’étranger en témoignent. Devisé dans un premier temps à 50 millions d’euros, celui de la centrale de Brennilis, en Bretagne, est, par exemple, estimé, aujourd’hui, à un demi-milliard d’euros, soit une augmentation de 1000%! Au final, le consommateur et le contribuable suisses devront donc, probablement, mettre, eux aussi, la main au porte-monnaie. Ce, d’autant plus que les estimations helvétiques remontent à 2006!
En outre, si l’actuelle loi sur l’énergie nucléaire prévoit bien que les exploitants de centrales doivent passer à la caisse, lorsque le financement n’est pas assuré et les fonds ne suffisent pas, elle indique également que, en cas d’incapacité de ces mêmes exploitants à s’acquitter des montants dus, l’Assemblée fédérale pourra alors décider d’une participation de la Confédération.
Impossible dès lors de chiffrer avec précision le coût réel de production du kilowattheure nucléaire. Un constat auquel est également arrivé le Conseil fédéral en 2008, dans un rapport répondant au postulat de la parlementaire Gisèle Ory. Sa conclusion: «Il n’est pour l’heure pas possible d’effectuer un calcul sérieux du coût réel du nucléaire!»
(1) A la fin de 2010, les exploitants avaient versé 4,8 milliards de francs. Le solde restant, soit 2,2 milliards, devra être versé entre 2011 et la mise hors service des centrales.