La pratique se répand chez les fournisseurs de services (téléréseau, assurances, etc.): facturer un supplément pour une prestation non demandée, en ajouter le montant au total reporté sur le bulletin de versement... et préciser que les payeurs, ainsi fermement sollicités, n’ont qu’à faire les démarches nécessaires s’ils ne veulent pas s’acquitter de l’obole. Pratique discutable, mais légale et terriblement efficace.
Educateur retraité habitant Monthey, Gilbert Kramer ne goûte guère cette façon de faire. Fin décembre, comme 13 000 autres Chablaisiens, il a reçu de la société Teledis une facture de téléréseau comprenant, en sus de la taxe de base, une «contribution volontaire à Canal 9» de 3 fr. par mois, ajoutée au total imprimé sur le bulletin de versement joint à la facture.
Recommandation
L’explication figure sur une lettre annexée à la facture: Canal 9 élargit sa zone de diffusion au Chablais. Vu la vocation de service public de la chaîne, ses responsables, ainsi que l’Association régionale Monthey - St-Maurice (ARMS), «recommandent» aux téléspectateurs de financer eux-mêmes, partiellement, cet élargissement.
«Le procédé frise l’arnaque, fulmine Gilbert Kramer. Bien des gens, surtout du 3e âge, ne vérifient pas les données des factures, font confiance et paient ce qu’on leur demande!»
Soutien populaire
«Je ne savais pas que ce montant serait pré-imprimé sur le bulletin de versement, et le regrette un peu», répond Georges Mariétan, le président de l’ARMS. Mais il défend le principe utilisé: «Canal 9 s’est développé à partir du Valais central grâce à un large soutien populaire, y compris par ce système de la contribution volontaire. Sa réelle vocation de service justifie la contribution du public, laquelle condamne la chaîne à faire du bon travail.»
Certes, le procédé est légal, ainsi que le confirme l’Office fédéral des communications, «du moment que le consommateur garde la possibilité de refuser l’offre». Tout de même, pour Bernhard Bürki, porte-parole de l’OFCOM, «le fait qu’il faille se manifester pour ne pas payer reste problématique».
M. Prix irrité
La pratique irrite d’ailleurs la Surveillance des prix, qui, appelée à juger de la chose dans une autre affaire (voir encadré), parle de «roublardise».
Responsable des finances chez Canal 9, Aline Nicol réfute la critique: «La lettre jointe à la facture était assez claire pour qu’on ne puisse payer autrement qu’en connaissance de cause.» Tout de même, la démarche inverse – inviter les abonnés à se manifester pour obtenir une facture comprenant la fameuse contribution – n’était-elle pas envisageable? «Nous utilisons ce mode de facturation depuis 20 ans auprès des autres régions couvertes, et nous souhaitions que les 13 000 abonnés chablaisiens soient traités sur un pied d’égalité», rétorque Aline Nicol.
En fait, pas tout à fait 13 000: selon Canal 9, environ 20% des abonnés contactés* ont demandé une nouvelle facture ne comprenant pas cette offrande à la télé locale. Un abonné sur cinq, ce n’est pas rien. D’autant qu’on peut se demander, sur les 80% restants, quelle proportion exacte a payé de son plein gré.
Blaise Guignard
*Sur 12 communes valaisannes, Vouvry et les communes vaudoises dépendant de la même entreprise de téléréseau n’ayant pas été solllicitées (ndlr).
l’inattention des clients à la base d’un système
Cablecom également épinglé pour sa «roublardise»
Autre opérateur de téléréseau, même procédé: fin novembre 2002, Cablecom commet une facture comprenant un «abonnement d’entretien Service Plus» à 2 fr. par mois. Là encore, ce montant, non contractuel, est pris en compte dans le total porté sur le bulletin de versement.
Cet abonnement «volontaire», qualifié de «roublardise», a provoqué le courroux de Monsieur Prix, et celui de la Fondation pour la protection des consommateurs (SKS), qui a porté plainte devant la Commission pour la loyauté en matière de publicité. Selon la SKS, Cablecom viole les usages commerciaux en vigueur en enlevant à ses clients la possibilité de refuser une offre par leur simple silence — d’autant qu’en l’espèce, ils n’ont rien demandé, ni expressément, ni de façon implicite.
«Cette proposition a été faite aux gérants d’immeubles et aux responsables de propriétés par étage, des professionnels peu susceptibles d’y souscrire par inadvertance», objecte Jacques Filippini. Le porte-parole de Cablecom invoque aussi le «taux d’adhésion élevé» remporté par la formule, proposée auparavant aux abonnés d’autres régions, et souligne le très faible taux de retours négatifs, de l’ordre de «quelques pour-cent» sur environ 100 000 factures envoyées.
Et c’est là tout le (mauvais) génie du système: l’inadvertance des clients en est à la fois le pilier et la caution.