Après avoir garé son véhicule hors d’une case dans le Parking public ICC à Genève, notre lectrice Vilay Wirth a eu la mauvaise surprise de découvrir, sur son pare-brise, un «constat d’infraction» dressé par la société privée Park-Management. Le document contenait une proposition pour le moins surprenante: «Notre constat peut être traité d’une manière interne et annulé si vous acceptez de participer aux frais
de notre intervention s’élevant à 30 fr.» En cas de refus, «une plainte sera adressée au Service des contraventions».
Bigre! Payer une société privée pour éviter une plainte, et donc une amende, voilà une démarche que plus d’un automobiliste considérerait comme du chantage! Cette pratique inédite (lire encadré) a pourtant la bénédiction de l’Etat de Genève, mais à certaines conditions.
Arrangement permis
Dans ce canton, la Direction générale des transports (DGT) autorise les propriétaires à mandater des tiers, par exemple des sociétés privées, pour contrôler le stationnement sur leurs terrains. Les mandataires reçoivent une lettre d’habilitation de la DGT qui leur octroie des compétences très précises. Sur les «fonds privés à usage privé», comme les places de parc réservées aux locataires d’un immeuble ou au personnel d’une entreprise, ils sont habilités à déposer une plainte contre les contrevenants.
Celle-ci doit être adressée au chef de la police au moyen d’une lettre type, et le Service des contraventions inflige une amende. «Dans ce cas de figure, la société a le droit de proposer un arrangement pécuniaire au contrevenant pour éviter la plainte», précise Silvain Guillaume-Gentil, porte-parole de la police. Une directive fixe un émolument maximal de 30 fr.
Zone grise
Les mandataires peuvent aussi intervenir sur des fonds privés à usage public, comme les parkings des supermarchés. Mais, là, ils ne sont pas autorisés à proposer un deal. Leur compétence: remplir une fiche de dénonciation qui doit être transmise directement au Service des contraventions.
Park-Management, qui a été habilitée à porter plainte par la DGT, peut donc proposer un arrangement aux contrevenants, pour autant que l’infraction ait été commise sur un fonds privé à usage privé. Mais, dans le Parking ICC, notre lectrice n’était-elle pas sur une zone à usage public? Pascal Widmer, directeur administratif de Park-Management, n’est pas de cet avis. Selon lui, dès le moment où un parking possède une barrière, il est à usage privé, ce qui autorisait sa société à proposer une transaction à l’amiable.
Ce point de vue, l’Etat de Genève ne le partage pas: «Un parking accessible au public moyennant paiement – par le biais d’un ticket – et fermé par une barrière est un fonds privé à usage public, puisque cette dernière peut être actionnée par un nombre indéterminé de personnes. Ce qui n’est pas le cas lorsque l’entrée se limite aux personnes possédant une clé, une télécommande ou un badge», résume Dorothée Zarjevski, responsable de la communication interne et institutionnelle pour la DGT. Une clarification sur ce point paraît donc nécessaire.
Pas un maître chanteur!
Plus globalement, Pascal Widmer se défend de faire chanter les automobilistes: «Notre proposition choque, parce que nous sommes une société privée, mais le contrevenant est libre d’accepter ou non.» Et d’évoquer l’avantage, en termes pécuniaires, de préférer l’arrangement. «La personne paie 30 fr., alors que le dépôt d’une plainte va lui coûter au moins 140 fr.» Et c’est là effectivement tout le paradoxe du système: avoir le sentiment d’être victime d’un chantage, mais, au final, payer moins.
En 2014, sur les quelque 10 000 constats rédigés par Park-Management pour des fonds à usage privé, 60% environ des contrevenants auraient accepté la proposition. Les autres ont écopé d’une plainte. Pour les terrains privés à usage public, la société privée a transmis plus de 9000 dénonciations aux autorités compétentes.
Sébastien Sautebin
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Des émules à Neuchâtel?
Selon Pascal Widmer, Park-Management est la seule société à proposer un arrangement pécuniaire aux contrevenants dans le canton de Genève. Il n’empêche, l’idée pourrait faire des émules ailleurs, pour autant que les législations cantonales le permettent. Si les polices valaisanne et jurassienne n’ont pas connaissance de pratiques similaires, il n’en serait pas de même à Neuchâtel où un premier cas de ce genre vient d’être signalé. Il n’y aurait aucune base légale dans ce canton pour cette pratique. Le Service juridique de la police étudie actuellement le dossier et a informé le procureur général.