Nous sommes exposés quotidiennement à une multitude de substances chimiques synthétiques. Nombre d’entre elles sont suspectées d’être des perturbateurs endocriniens, soit d’agir sur le système hormonal. Ce terme devenu familier recouvre une réalité complexe. Ces polluants représentent un défi colossal pour le scientifiques qui tentent de mieux cerner leurs effets.
Certains d’entre eux s’alarment des effets possibles des perturbateurs endocriniens sur la santé humaine. Ils les suspectent d’être l’une des causes de l’augmentation des cas de cancer du sein, des testicules, de l’abaissement de la qualité du sperme ou encore de la diminution de l’âge de la puberté.
Enfants plus touchés
De précédentes études ont montré des niveaux d’imprégnation aux perturbateurs endocriniens plus élevés chez les enfants que chez les adultes. Plusieurs hypothèses pourraient expliquer cette différence: des contacts cutanés et de type «main-bouche», plus fréquents avec les objets du quotidien, des expositions plus importantes, par exemple, aux poussières domestiques ou un poids relativement plus faible par rapport à leurs apports alimentaires.
En collaboration avec les émissions A bon entendeur et On en parle de la RTS, nous avons donc voulu mesurer la présence de ces substances dans les urines d’une trentaine d’enfants, provenant de toute la Suisse romande (lire «Déroulement du test»).
Le constat est édifiant: des traces de perturbateurs endocriniens ont été décelées chez tous les participants, sans aucune exception. Les 33 enfants ont été exposés récemment à au moins un pesticide pyréthrinoïde, un organophosphoré, quatre plastifiants différents (phtalates et bisphénol) et un parabène. Au total, 27 biomarqueurs urinaires ont été détectés.
Impact des réglementations
Les concentrations de ces polluants semblent, pour la plupart, assez basses comparées aux précédentesétudes menées en Europe, relève le CHU (Centre hospitalier universitaire) de Liège, qui a fait les analyses. Les différentes réglementations mises en place, ces dernières années, ont sans doute eu un effet favorable, avancent les experts.
S’il n’existe actuellement pas de seuil consensuel qui fixe des concentrations urinaires de perturbateurs endocriniens à ne pas dépasser, des valeurs de références pour quelques substances (certains phtalates et le bisphénol A) ont été fixées dans le cadre d’un projet de biosurveillance européen. Lors de notre analyse, aucun enfant ne présentait des concentrations supérieures à ces valeurs.
Des effets à faible dose
Sans qu’on puisse en tirer des conclusions sur la santé des participants, ces résultats interpellent, car les perturbateurs endocriniens ne peuvent pas être jugés avec des outils de toxicologie classique.
Premièrement, le principe selon lequel «la dose fait le poison» ne s’applique pas aux perturbateurs endocriniens. «Il n’existe pas de seuil en deçà duquel tout risque potentiel pour la santé est exclu», explique Catherine Pirard, responsable du secteur environnement au Service de toxicologie du CHU de Liège. Ces composés chimiques peuvent avoir un effet à très faible dose.
Enfants et femmes enceintes vulnérables
La deuxième difficulté tient aux périodes de vulnérabilité face au risque toxique. Un organisme ne subit pas les mêmes effets lorsque le contact avec un perturbateur endocrinien a lieu in utero, avant ou après la puberté. Certaines études montrent que le risque sanitaire ne concerne pas uniquement la personne qui est exposée, mais aussi sa descendance.
Une autre inconnue provient du fait que l’être humain peut être exposé à un mélange complexe de perturbateurs endocriniens provenant de différentes sources. Leur combinaison est donc susceptible d’entraîner des effets imprévisibles pour l’organisme, c’est ce que l’on nomme «l’effet cocktail».
Des effets sur plusieurs générations
La réglementation sur les perturbateurs endocriniens est lente, déplore Ariane Giacobino, médecin généticienne aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG). «C’est très compliqué de produire des données scientifiques qui soient prises pour argent comptant et susceptibles d’influencer rapidement la réglementation. Pourtant, chez l’animal, le lien a été très bien établi entre perturbateurs et système reproducteur», fait-elle remarquer. Une étude qu’elle a effectuée sur des souris mâles a montré que les phtalates peuvent avoir des conséquences dévastatrices sur la fertilité des futurs individus. Cette recherche, financée par le Centre suisse de toxicologie humaine (SCAHT), se prolonge actuellement sur des cohortes d’hommes travaillant dans l’industrie du plastique.
Pour l’heure, il n’existe pas d’étude donnant une image globale et représentative de l’exposition de la population suisse aux produits chimiques. Pour tenter d’y remédier, une phase pilote, en vue d’un projet d’ampleur nationale de biosurveillance, a commencé l’an dernier. La Suisse est à la traîne par rapport à d’autres pays. Il faut dire que ces projets coûtent très cher et s’avèrent compliqués d’un point de vue logistique.
Alternatives: fausse bonne idée?
Par ailleurs, les diverses interdictions et limitations peuvent poser d’autres problèmes. Dans le cas du bisphénol A, les industriels ont développé des alternatives pour ses nombreux usages. Malheureusement, ces substances ne sont pas toujours meilleures que le composé remplacé. De récentes études viennent de confirmer que le bisphénol S, par exemple, est également un perturbateur endocrinien.
Dans l’attente d’un durcissement du cadre légal, des gestes simples permettent de réduire cette exposition. La vigilance s’impose en particulier pour les enfants et les femmes enceintes. «Il ne faut pas trop culpabiliser non plus. Réfléchissez à ce qui est faisable et à ce que vous arrivez à maintenir dans votre quotidien sur la durée», conseille Ariane Giacobino.
Alexandre Beuchat
Déroulement du test
Les urines de 33 enfants, âgés de 3 à 15 ans et provenant de toute la Suisse romande, ont été récoltées en septembre dernier. Les échantillons ont été envoyés au Service de toxicologie du CHU (Centre hospitalier universitaire) de Liège, en Belgique. Les substances que nous avons recherchées sont rapidement décomposées dans l’organisme et éliminées dans l’urine. L’exposition des enfants remonte aux 6 à 12 dernières heures. La mesure est donc extrêmement ponctuelle. Seuls les produits de dégradation (métabolites) peuvent être décelés. Le laboratoire a analysé les prélèvements pour détecter les traces de substances soupçonnées d’être des perturbateurs endocriniens: pesticides, phtalates, bisphénols et parabènes.
Des substances très controversées
C’est l’herbicide le plus employé dans le monde. Considéré comme «probablement cancérigène» par le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC), il est aussi suspecté d’être un perturbateur endocrinien. Dans notre étude, il a été retrouvé à des concentrations mesurables dans un tiers des prélèvements, à faibles doses.
- Pesticides organophosphorés
Ce sont des composés organiques contenant du phosphore. La population y est principalement exposée par l’alimentation. Le chlorpyrifos est interdit en Suisse depuis juillet 2020. Son métabolite a toutefois été détecté dans tous les échantillons, démontrant que tous les enfants y ont été exposés récemment.
- Pesticides pyréthrinoïdes
Très utilisés en agriculture, ces produits chimiques entrent également dans la composition d’insecticides ménagers, de lotions anti-poux ou de produits antiparasitaires pour les animaux domestiques. Deux métabolites ont été détectés chez presque tous les enfants.
Plastifiants très répandus, ils sont utilisés dans de nombreux domaines pour rendre les plastiques plus flexibles et durables. Des métabolites de phtalates ont été retrouvés dans tous les échantillons, à des concentrations médianes variant entre 3 et 15 µg/l (microgramme par litre d’urine), confirmant que les enfants y sont exposés quotidiennement. Des traces de DEHP ont été détectées chez tous les participants. Cette substance a été identifiée comme toxique pour la reproduction et comme perturbateur endocrinien selon le règlement sur les produits chimiques de l’UE (REACH).
Le bisphénol A est l’élément de base de la fabrication du polycarbonate, un plastique largement utilisé dans les biens de consommation courante. A des doses importantes, le BPA est toxique pour le foie et les reins. Il affecte également la reproduction et le développement fœtal. En Suisse, les autorités considèrent qu’il ne présente pas de risque pour la santé, car l’exposition de la population est trop faible pour être dangereuse. Diverses mesures ont cependant été prises pour réduire davantage l’exposition au BPA (interdiction dans les biberons, valeur limite pour les emballages alimentaires et les jouets). On retrouve des traces de BPA dans quasiment tous les échantillons et de BPS dans les deux tiers des prélèvements.
Ils sont principalement utilisés comme agents conservateurs dans les produits cosmétiques et de soins personnels en raison de leurs propriétés antibactériennes et antifongiques. Utilisé comme anti-UV, le benzophénone-3 a été retrouvé dans un tiers des échantillons.
Des gestes simples pour limiter son exposition
Les perturbateurs endocriniens se trouvent partout. Impossible d’y échapper totalement, mais des gestes faciles à adopter permettent de réduire cette exposition.
Alimentation
- Laver consciencieusement et éplucher les fruits et les légumes avant leur consommation.
- Privilégier les produits bio et de saison.
- Varier les aliments et leurs origines.
- Privilégier les produits frais ou surgelés à ceux en conserve.
- Préférer les bouteilles en verre aux canettes.
- Privilégier les plats en verre ou en céramique et éviter de réchauffer les plats préparés directement dans leur emballage.
Air intérieur et extérieur
- Aérer les pièces de vie deux à trois fois par jour, durant 10 minutes.
- Nettoyer régulièrement le logement à l’eau de façon à réduire l’exposition à la poussière domestique.
- Éviter l’utilisation de pesticides à l’intérieur des habitations. Lutter contre les mouches avec des moyens mécaniques (bandes collantes, tapette). La lavande est efficace contre les mites dans les penderies.
- Utiliser un minimum de pesticides dans le jardin: désherber à la main et tolérer quelques mauvaises herbes.
Jouets
- Privilégier des jouets marqués «CE», c’est-à-dire conforme aux exigences de l’Union européenne.
- Limiter les jouets en plastique ou en bois traité.
- Jeter les objets en plastique abîmés, déchirés ou rayés.
- Laver les nouveaux articles d’ameublement et les jouets qui peuvent l’être.
- Éviter les plastiques portant le code d’identification 3 ou 7 ou l’indication PC.
Cosmétiques
- Éviter les cosmétiques qui ne se rincent pas ou ont un long temps de pose avant rinçage.
- S’orienter vers des produits bruts ou avec, sur leur descriptif, des compositions courtes.
- Des applications,
comme «FRC Cosmétiques», permettent de savoir facilement si le produit contient des substances indésirables.
Les polluants du quotidien
100% des enfants testés ont été exposés récemment à ces substances. Les voies d’exposition sont nombreuses: ingestion, inhalation et contact cutané.
L’origine alimentaire de la contamination est la plus probable. L’utilisation de pesticides à l’intérieur du domicile ou dans le jardin est une autre source possible.
L’utilisation de produits cosmétiques augmente les niveaux d’imprégnation de ces agents conservateurs.
Ces plastifiants se retrouvent dans de nombreux produits du quotidien, dont les emballages alimentaires, les boîtes de conserve, les jouets ou les papiers thermiques.