Les dépenses liées à la santé sont, pour les ménages aux revenus modestes, un problème de plus en plus insoluble. Dès lors, pour limiter la facture, vaut-il la peine de chercher les pharmacies qui pratiquent les meilleurs tarifs plutôt que de pousser la porte de l’officine de son quartier? Nous avons mené l’enquête dans dix enseignes de Genève et de Lausanne – une pour chacun des groupes les plus représentés – en choisissant, à chaque fois, la succursale la plus proche de la gare.
Nos achats ont porté sur douze préparations courantes qui peuvent être obtenues sans ordonnance. Pour huit d’entre elles, un médicament bien spécifique a été réclamé par nos enquêteurs (voir partie B du tableau). Une certaine marge de manœuvre a été laissée au pharmacien pour les quatre autres (partie A).
La note finale laisse apparaître des différences allant jusqu’à +16,89% pour la pharmacie la plus chère, la succursale de Benu. Les médicaments ne coûtent donc pas le même prix partout: en fait, seuls ceux qui sont inscrits dans la «Liste des spécialités» (LS), c’est-à-dire remboursés par l’assurance maladie de base, ont un prix fixe et soumis au contrôle de l’Office fédéral de la santé publique. Pour les autres, c’est la loi de la jungle.
Les géants plus chers
Plus étonnant, les prix relevés dans les officines des mastodontes comme Benu et Galenica – qui possèdent Amavita, Coop Vitality et Sun Store – sont plus élevés que ceux des petits groupes régionaux, comme les genevois Pharmacie Populaire (20 enseignes) et Pharmacie Principale (8), ou les Pharmacies Populaires de Lausanne (5) dont la succursale de Grancy a présenté l’addition la moins chère (143 fr.).
Le porte-parole de Galenica le reconnaît d’ailleurs: «Les prix proposés par nos pharmacies ne sont pas forcément les meilleur marché. Mais nos clients bénéficient d’une multitude de rabais et d’offres spéciales ainsi que des avantages liés aux cartes de fidélité.» C’est vrai. Mais les autres groupes ne sont pas en reste et proposent aussi des réductions certains jours ainsi que leurs propres cartes de fidélité.
Quant à la dernière place occupée par l’officine de Benu, elle est due en partie au coût élevé (25.40 fr.) du médicament contre le mal des transports. En effet, la pharmacie ne disposait pas de granulés spécifiques à cet effet et nous a vendu une autre préparation. Selon la porte-parole du groupe, cette dernière «offre une contenance autorisant un nombre de prises cinq fois supérieur à un tube de granulés». Cela dit, Benu n’aurait gagné qu’un rang dans notre classement s’il avait pu fournir un produit correspondant au prix moyen facturé par ses concurrents…
5 fr. de plus pour la même boîte
En se plongeant dans le détail des additions, on constate encore qu’aucune pharmacie n’offre des prix systématiquement inférieurs à ceux de ses concurrents. Pour chaque médicament, le prix le moins cher (signalé en vert dans notre tableau) se retrouve aléatoirement dans l’une ou l’autre des enseignes, mais les différences sont importantes: le même tube de vitamines Supradyn coûte, par exemple, 5.70 fr. de plus (+21%) à Coop Vitality qu’à la Pharmacie Principale. Pour les sachets de NeoCitran, la différence frise les 4 fr. (+25%). Il vaut donc la peine, pour qui achète régulièrement le même produit, de tester plusieurs officines pour trouver la moins chère.
Le même, en plus cher!
C’est toutefois en restant très attentif au médicament délivré qu’on réalisera les plus belles économies, et cela sans même changer d’enseigne. En effet, chose surprenante, certains médicaments existent en deux versions semblables: même nom ou presque, même fabricant, même principe actif, même concentration, même effet. Unique différence, le prix, car seule la version de base figure sur la Liste des spécialités (lire encadré). Tous deux peuvent être délivrés sans ordonnance. Le problème? C’est très souvent la variante plus chère que le personnel en blouse blanche choisit de délivrer! Ainsi, toutes nos pharmacies nous ont, au moins une fois, proposé un article plus cher que celui qui avait été expressément demandé (voir partie C du tableau).
«Pas d’autre version»
Si on lui délivre à chaque fois l’option la plus chère, un client «malchanceux» peut donc quitter une officine avec près de 20 fr. de moins dans la poche qu’un autre à qui l’on aura réellement fourni ce qu’il a demandé. Pour quelle raison? La palme de l’explication la plus laconique revient à Galenica: «Le traitement ou la forme galénique le plus conseillé vous a été proposé», répond le porte-parole du groupe pour chacun des cas. Une réponse très insatisfaisante, puisque, répétons-le, les préparations listées dans notre encadré sont identiques dans leur forme (sauf le Triofan) et leur concentration. PharmaciePlus est la seule à concéder une erreur, pour la délivrance du Fluimucil le plus cher. Pour ce même médicament, Pharmacie Principale et Benu plaident l’absence de la version bon marché en stock. Chez cette dernière, pourtant, on a affirmé à notre enquêteur qu’il n’en existait pas d’autre et que seul l’emballage avait changé!
La faute à la pub?
Pas de bonne explication non plus pour le Voltaren. Seule Benu s’en sort: selon la porte-parole du groupe, la «Dolo» était en action ce jour-là et ne coûtait que légèrement plus cher, raison pour laquelle elle aurait été choisie. Pharmacie Populaire répond que la version normale est réservée aux prescriptions médicales, ce qui est faux. Les pharmacies Plus et Populaires de Lausanne, elles, expliquent le choix par la mise en avant publicitaire faite par la marque. Pourtant, côté client, le mot «Dolo» n’a jamais été prononcé…
Coûteuse substitution
Quant aux pharmacies prises en faute avec le spray Triofan, elles se sont défendues en insistant sur les qualités pratiques du spray par rapport aux gouttes. Reste qu’elles n’ont pas pris la peine d’avertir le client de la substitution et du prix majoré.
PharmaciePlus, enfin, nous a donné la réponse la plus franche: «Une pharmacie est une entreprise qui vit des produits qu’elle vend. Si elle ne devait vendre que des boîtes à 2 fr., il n’y aurait plus de pharmacies en Suisse, ni de conseils de santé dispensés gratuitement à la clientèle», avance l’assistante de direction du groupe. En d’autres termes, ce serait donc aux personnes malades de financer ce service... L’explication est, d’ailleurs, reprise par Pharmasuisse: «La vente des petites boites de Dafalgan 500 mg, par exemple, est déjà déficitaire et le recours à des équivalents plus chers permet de compenser pour partie ces pertes et de rémunérer la consultation pharmaceutique», avance Thierry Philbet, porte-parole de la faîtière des pharmacies. En outre, l’association pointe du doigt le parlement, qui a choisi de soumettre les médicaments en vente libre aux lois du marché. «Chaque patient est donc libre de choisir sa pharmacie en fonction des critères qui lui importent», conclut-il.
Pas par hasard
Dernier détail à signaler: dans presque tous les cas, les variantes coûteuses sont à portée de main, posées en évidence sur des étagères derrière le comptoir. Les plus économiques, elles, sont rangées au fond d’un tiroir. Selon Pierre Jenny, ancien pharmacien indépendant, cette disposition ne doit rien au hasard. Il confirme que certains fabriquants proposent sciemment deux gammes de médicaments identiques, l’une étant laissée dans le marché libre et proposée aux pharmaciens à des conditions avantageuses. Lesquels réalisent une marge plus grande en vendant de préférence ces boîtes surtaxées.
Vincent Cherpillod
Bonus web: Médicaments et abus
Eclairage
L’appat du gain?
Voici, en détail, les quatre préparations pour lesquelles un produit plus coûteux que celui demandé nous a été vendu (voir partie C du tableau). Dans chaque pharmacie, notre demande était très précise et toujours formulée de la même manière. Sur chaque illustration, la version de gauche ou du haut est la meilleur marché.
Fluimucil
Ce médicament fluidifie et dissout les sécrétions denses retenues dans les voies respiratoires et favorise l’expectoration. A la demande «une boîte de Fluimucil 600 mg comprimés effervescents», six pharmacies sur dix nous ont donné la version «Toux Grasse». Rigoursement identique sur le plan pharmaceutique, elle coûte cependant 64% plus cher en moyenne (12.35 fr. environ contre 7.50 fr, prix fixe).
➛ Conseil: pour éviter de payer 5 fr. de trop, vérifiez que la mention «Toux Grasse» ne figure pas sur l’emballage; si tel est le cas, exigez son remplacement par la version normale.
Voltaren Emulgel
Cette crème contre les douleurs et les inflammations existe en version standard et «Dolo». Toutes deux ont la même concentration en principe actif, mais la «Dolo» coûte, à taille comparable, 30% plus cher. Or, à la demande «un tube de Voltaren Emulgel», pas moins de neuf pharmacies sur dix nous ont délivré la «Dolo»! Toutes avaient, pourtant, la version normale en stock.
➛ Conseil: Là encore, n’hésitez pas à refuser la seconde. Attention: seul le petit tube de 50 g est avantageux. En outre, la «Dolo forte», plus concentrée, n’a pas d’équivalent bon marché.
Triofan
Quatre pharmacies nous ont vendu le décongestionnant pour la muqueuse nasale Triofan sous forme de spray, alors que nous avions expressément demandé des gouttes. Or, la version spray coûte 50% de plus…
➛ Conseil: le spray est plus pratique à l’usage, mais coûte nettement plus cher. Choisissez en fonction de vos besoins.
Paracétamol
Confrontées à la demande «du paracétamol 500 mg, une petite boîte», deux officines ont choisi une marque coûteuse (Panadol), alors qu’il en existe d’autres qui coûtent près de trois fois moins cher.
➛ Conseil: une boîte de 20 comprimés (16 pour le Dafalgan) de paracétamol 500 mg ne devrait pas coûter plus de 2.55 fr. Si ce montant est dépassé, demandez une autre marque. Les comprimés effervescents ou orodispersibles coûtent plus cher.