Il paraît que, sur le plan économique, rien ne sera plus comme avant. Et que, au niveau de la Bourse, la première décennie du XXIe siècle a été franchement calamiteuse. Bref, même si les choses vont aujourd’hui un peu mieux, la crise est encore sur toutes les lèvres, avec tout ce qu’elle engendre comme licenciements et plans d’austérité.
Or, la Suisse n’échapperait pas, ou si peu, à ce bilan déprimant. Encore secoués par les répercussions de la crise des subprime, puis de leur lutte contre le franc fort, les employeurs l’ont d’ailleurs expliqué à tous ceux qui souhaitaient un peu de beurre dans leurs épinards, notamment lors des négociations salariales: c’est pas le moment, le bateau est prêt de couler…
Le problème, du moins pour le simple lecteur de journaux, c’est que, parallèlement, les bilans ne cessent d’afficher des bénéfices avec des kilomètres de zéros. Ainsi, les 20 sociétés qui composent le plus célèbre indice boursier suisse – le SMI – ont réussi, ces dix dernières années, à accumuler un bénéfice net (après impôt) de quelque 530 milliards de francs (voir tableau ci-contre). Et même en 2008, la pire année pour les banques (UBS fait une perte de presque 19,7 milliards, Credit Suisse de 8,2 milliards), tandis que le SMI chutait de 5000 points, l’année boucle avec un profit de 28,4 milliards de francs.
Moralité (enfin, si l'on ose dire…): outre les actionnaires qui se frottent les mains, les groupes du SMI croulent sous le cash, comme l’a démontré récemment le quotidien Le Temps. A eux vingt, ils disposaient, à la fin de 2012, de réserves pour presque 200 milliards de francs. Soit, en excluant UBS et Credit Suisse, des liquidités trois fois plus importantes qu’en 2000. Or, comme l’attrait pour les grands rachats est un peu retombé (sans disparaître pour autant), il y a de grandes chances pour qu’une bonne partie de ce pactole finisse, lui aussi, dans la poche des actionnaires.
Ces derniers, réunis sous le nom générique de «marché», en voudraient pourtant plus encore, creusant du même coup un fossé d’incompréhension avec le quidam. Exemple: le 15 mars dernier, le chocolatier Lindt & Sprüngli annonce un bénéfice net en hausse de 272 millions, ainsi qu’un accroissement de son chiffre d’affaires de 7,3%. Pas assez pour le «marché», qui se dit déçu et le clame suffisamment fort pour en faire le titre des médias économiques. Il y a, décidément, mille façons de vivre une crise…
Christian Chevrolet
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