Coup de chapeau aux entreprises suisses de transports publics réunies dans l’Organisation Alliance Swisspass, dont les CFF. Elles ont réussi le tour de force d’annoncer, en l’espace d’un mois, une augmentation de leurs tarifs suivie de gros chantiers sur tout le réseau ferroviaire, avec des conséquences massives en Suisse romande (lire encadré).
Records de fréquentation battus
Des hausses difficiles à comprendre quand il faut se battre pour trouver une place assise: entre janvier et mars 2023, l’Union des Transports publics annonce que 5,22 milliards voyageurs-kilomètres ont été parcourus. Un chiffre jamais atteint jusqu’à ce jour. Ce succès se reflète dans les régions avec, par exemple, une hausse de la fréquentation de 11,7% en 2023 par rapport au premier trimestre 2019 pour les Transports publics fribourgeois (TPF). En 2022, le chiffre d’affaires de la branche a atteint 5,945 milliards de francs, battant de 4% le record de 2019.
Ce succès ne se répercutera pas sur le confort des passagers, bien au contraire: à partir de 2025, les liaisons ferroviaires seront beaucoup moins efficaces en Suisse romande avec, à la clé, un horaire catastrophique pour certaines régions. La liaison entre Zurich et Genève par le pied du Jura sera interrompue pour les dix prochaines années. Les passagers en provenance de Yverdon, Neuchâtel et Bienne n’auront que deux liaisons directes par jour aux heures de pointe. Pour le reste, ils devront changer de train à Renens.
Autant dire qu’il faudra s’armer de patience pour prendre l’avion à Cointrin (lire «Cointrin visait 58% d’usagers acheminés en train»). La population genevoise mettra 6 minutes de plus pour rejoindre Berne et jusqu’à 8 minutes de plus pour aller à Sion. Les voyageurs vers Neuchâtel verront le temps de parcours prolongé de dix minutes à cause du changement de train à Renens.
Liaison Genève Zurich interrompue
Et ce n’est pas tout: pendant les deux mois d’été 2025, aucun train ne reliera Zurich à Genève sans changement. Le deuxième axe reliant les deux villes par le Plateau sera, lui aussi, interrompu par un chantier qui obligera les passagers à monter dans un bus entre Fribourg et Berne. Idem dans le Laufonnais, entre Delémont et Bâle, pendant sept semaines cet été, puis 26 semaines entre avril et septembre 2025.
«Il est supportable d’augmenter un trajet de quelques minutes. Mais il est problématique de multiplier les changements de train»,, commente David Asseo, délégué aux transports pour le canton du Jura. L’horaire 2025 est le fruit d’un savant compromis entre les premières propositions des CFF et les cantons qui ont défendu les usagers becs et ongles, tout en se rendant à l’évidence: l’horaire actuel n’est plus réaliste et trop de trains sont en retard.
La faute, selon l’expert, à un gros retard dans les investissements. Depuis une vingtaine d’années, c’est la politique du moindre coût qui prévaut: par exemple, la suppression d’aiguillages au début des années 2000, ou des infrastructures calculées au plus juste en Suisse romande. «La facture se paie aujourd’hui à double, avec des performances limitées par le réseau et de gros chantiers pour rattraper le retard», déplore le délégué.
Claire Houriet Rime / Roger Müller
Une stratégie incompréhensible
Il faudra débourser davantage pour monter dans un train ou un bus en 2024. L’abonnement général en 2e classe coûtera 4080 fr. et franchira ainsi un seuil symbolique. L’abonnement demi-tarif grimpe à 190 fr. et le prix des billets augmentera de 4,2%.
Les montants définitifs seront communiqués à la fin du mois de juin. Dans les régions, les communautés tarifaires vont également augmenter leurs tarifs. A Fribourg, les TPF annoncent une hausse de 3,9%. La Communauté tarifaire neuchâteloise Onde verte augmente ses tarifs de 4,2%. Mobilis communiquera les nouveaux prix à la fin de juin et Genève (Unireso, Lemanpass) d’ici à l’automne.
«Le train est devenu très cher pour qui se déplace occasionnellement, sans demi-tarif», analyse Vincent Kaufmann, professeur de sociologie urbaine et d’analyse des mobilités à l’EPFL. «En période d’inflation, l’augmentation des prix peut entraîner un report modal vers la voiture. Le prix du train augmente nettement plus vite que celui de l’automobile en Suisse, alors que cette dernière ne couvre pas ses coûts sur le plan environnemental.» Ce projet d’horaire éloigne par ailleurs Genève du reste de la Suisse. Avec, pour conséquence, un report probable sur la voiture entre Cointrin et Kloten, voire l’avion pour les voyages d’affaires.
L’expert regrette l’absence d’une politique des transports cohérente pour atteindre les buts de l’Accord de Paris sur le climat… que la Suisse a pourtant signé.