Quand on savoure un roman policier, on ne se doute pas du chemin parcouru entre sa sortie de l’imprimerie et la table du salon. Or, ces étapes expliquent en partie la différence entre le prix payé et celui, en euros, figurant au dos de la couverture.
Comment justifier, en effet, que le Prix Renaudot, Charlotte de David Foenkinos, soit vendu plus de 30 fr. en librairie, alors qu’il ne coûte que 18.50 € (20.15 fr.)
en France et sur Amazon.fr (voir tableau)? Décryptage en cinq chapitres.
1 La chaîne de distribution
Tout ouvrage vendu en Suisse doit passer par un diffuseur (lié à l’éditeur), puis par un distributeur. Certains cumulent les deux rôles. Le libraire ne peut les contourner et, seuls, les bouquins proposés sur les sites étrangers (amazon.fr ou fnac.com) brûlent cette étape.
2 La tabelle de conversion
C’est le nerf de la guerre. D’entrée, les diffuseurs fixent le prix de référence du livre en appliquant, au passage de la frontière, une tabelle de conversion euro/franc. «Il n’y a pas de concurrence entre les fournisseurs et chacun est libre de fixer unilatéralement un prix de vente», résume Pascal Vandenberghe, directeur de Payot.
La plupart ont consenti à une baisse de 10% après la chute du cours de l’euro, en janvier dernier. Mais les taux évoluent toutefois entre 1.40 fr. et 1.75 fr., ce qui laisse une marge confortable. Des pourparlers sont en cours pour obtenir un geste supplémentaire, mais le sujet est tabou chez certains (Flammarion et Hachette entre autres) qui se sont refusés à tout commentaire. En 2013, une dizaine de distributeurs se sont fait sévèrement taper sur les doigts par la Comco. Ils ont déposé recours et le jugement du Tribunal administratif fédéral est en suspens.
3 Les salaires en Suisse
En Suisse, c’est le distributeur qui se charge de garnir les rayons dans les plus brefs délais. La chute de l’euro a déjà eu des conséquences dramatiques à l’Office du livre (OLF), qui détient environ 80% de ce marché, sa marge étant proportionnelle au chiffre d’affaires. Le personnel a donc dû accepter une baisse de salaire entre 4% et 10% dès le mois de mai, tout en augmentant son travail hebdomadaire à 43 heures (+2,5).
Tout au bout de la chaîne, il est donc difficile, pour les librairies, de casser les prix. «Le salaire d’un libraire suisse est environ 2,5 fois plus élevé que celui de son homologue français, explique Pascal Vandenberghe. Or, nous consacrons le 60% de notre marge commerciale aux salaires. Le lecteur suisse doit comprendre qu’il ne paiera jamais le tarif français!»
4 Et les numériques?
Ici, deux catégories de prix seulement: les sites français fournissent les fichiers numériques au tarif imposé par Paris. Les plateformes suisses passent par l’Office du livre qui subit, ici encore, la loi des éditeurs français. Qui, d’une part, calquent la valeur des fichiers numériques sur celle du papier et, d’autre part, profitent de l’îlot de cherté helvétique. Seule consolation: les commandes effectuées sur les sites suisses profitent à ces derniers.
5 Conclusion
Selon notre comparatif, les sites français sont les plus avantageux, malgré les offres promotionnelles de Fnac et de Payot, qui peuvent atteindre 20%. Pour corriger le tir, le Conseil fédéral compte rétablir la justice et soumettre les sites français à la TVA, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. D’ici là, et tant que les éditeurs arrondiront leurs fins de mois grâce au franc, la survie des libraires repose sur la fidélité des lecteurs. De quoi se replonger dans son bouquin pour se changer les idées.
Claire Houriet Rime