L'arrêt du Tribunal fédéral concernant l'exact moment du début d'une grossesse, publié (en français) et résumé en quelques lignes dans notre édition de juillet 2017, a fait couler beaucoup d'encre et suscité plusieurs questions de nos lecteurs. Tentons d'élargir le débat.
Le 24 janvier 2011, une secrétaire reçoit sa lettre de licenciement pour le 31 mars de la même année. Or, elle découvre le 5 mai qu'elle est enceinte et que la fécondation a eu lieu juste avant le 31 mars. Du coup, elle pouvait profiter de la période de protection contre le licenciement prévue en cas de grossesse! Et en y ajoutant les 16 semaines du congé maternité, cela reporte la fin du contrat de travail au 30 avril 2012!
L'employeur a contesté cette vision des choses, prétextant que la grossesse ne commence pas au moment de la fécondation de l'ovule, mais à celui de l'implantation de l'œuf dans l'utérus (nidation). Comme cette étape intervient 6 à 7 jours après la fécondation, il estime que la secrétaire n'était pas encore enceinte le 31 mars et que le contrat devait bel et bien prendre fin à cette date.
Débouté tant par le Tribunal de prud'hommes que par la Cour de justice cantonale, il a fait recours au Tribunal fédéral, qui l'a également recalé. Ce faisant, les juges ont quand même reconnu que la justice avait deux manières de voir les choses selon l'affaire à traiter.
- Pour le droit pénal, une grossesse commence bel et bien au moment de la nidation, afin d'exclure la pilule du lendemain des dispositions réprimant l'avortement punissable (article 118 du Code pénal).
- Mais lorsqu'il s'agit du droit du travail (ici, l'article 336c du Code des obligations), c'est le moment de la fécondation de l'ovule, donc de la conception de l'enfant, qu'il faut prendre en compte.
L'employée doit retravailler
L'employée a donc eu le droit de toucher son salaire durant 13 mois supplémentaires, ce qui a suscité d'autres réactions. «Il suffit donc de provoquer une grossesse entre l'annonce du licenciement et son entrée en vigueur pour bénéficier d'un an de salaire sans rien faire?» nous demande ainsi une lectrice. Oui et non.
Oui, en ce sens que si on prouve que la fécondation a eu lieu avant la fin du délai de congé, cela permet, comme l'a confirmé le TF, de reporter la date du licenciement. Mais il ne s'agit que d'un report, pas d'une période de congé payé! Autrement dit: si l'employeur avait accepté les faits et demandé à sa secrétaire de revenir travailler jusqu'à l'accouchement (ou le moment où son médecin décide qu'elle doive s'arrêter), elle aurait dû le faire.
Licenciement reporté
En revanche, un licenciement donné durant la grossesse n'est pas valable. L'employeur doit attendre le retour de son employée pour le lui annoncer. On peut donc imaginer que cette même jurisprudence peut être utilisée à cet effet. Ainsi, si la secrétaire avait constaté être enceinte fin février et que la fécondation ait eu lieu avant le 24 janvier, le licenciement aurait vraisemblablement été annulé et l'employeur aurait dû attendre son retour, début mai 2012 pour le lui faire valoir, ce qui aurait amené la fin des rapports de travail au 31 juillet 2012.
Christian Chevrolet