Perdue au fin fond du val d’Entremont, à l’entrée du tunnel du Grand Saint-Bernard et au pied du col du même nom, la station de ski du Super Saint-Bernard est à l’abandon depuis 2010. Pourtant, la fermeture de la télécabine n’a pas diminué la fréquentation du site: devenue une Mecque de la randonnée hivernale, elle attire chaque week-end des hordes d'amateurs de raquettes et de «peau de phoque».
En ce week-end pascal, l’affluence est considérable. Plus d’une centaine de voitures s’alignent sur un grand parking en plein cœur de la montagne. Mais pas un seul randonneur n’est monté en transports publics, et pour cause: depuis le changement d’horaire de décembre 2013, c’est impossible. L’idée selon laquelle chaque recoin du territoire helvétique peut être atteint en train ou bus a du plomb dans l’aile… Mais le comble, ici, c’est qu’une ligne de bus passe bien par la station, à raison de deux courses quotidiennes dans chaque sens. Cependant, les autocars ont l’interdiction d’y déposer des passagers!
Deux bus vides l’un derrière l’autre
La faute à un accord entre la Suisse et ses voisins qui interdit le cabotage, c’est-à-dire le transport local de passagers sur les lignes d'autocar internationales. Les voyageurs pris en charge avant la frontière doivent impérativement être déposés après celle-ci. Et la ligne Martigny-Aoste, qui dessert le Super Saint-Bernard, est précisément dans ce cas. Jusqu’ici, une certaine tolérance permettait à Transport Martigny et Région (TMR), qui exploite la ligne en partenariat avec l’italien SAVDA, de passer outre. Mais l’Office fédéral des transports (OFT) a donné un tour de vis en décembre dernier, menaçant TMR d’un retrait de concession si la pratique ne cessait pas. Conséquence: deux bus aux trois-quarts vides chacun circulent maintenant l’un derrière l’autre sur le versant suisse de la ligne, l’un pour la desserte locale, l’autre pour l’internationale. Et faute de rentabilité, celui qui assure la desserte locale s’arrête avant le Super Saint Bernard. A la descente, même problème: le bus transfrontalier, même vide, ne s’arrête pas pour prendre des passagers sur sol suisse. Pour se rendre dans la station et en revenir, les voyageurs n’ont d’autre choix que de prendre la voiture ou de commander un taxi.
A y regarder de plus près, il existe bien un moyen de se rendre en bus à Bourg Saint-Bernard: en prenant le bus de Martigny jusqu’à Aoste, le passager suisse se transforme en passager italien. Il peut alors, mais sur le chemin du retour uniquement, se faire déposer dans la station suisse… après 3h35 de périple! Aussi aberrante qu’elle soit, cette «solution» est la seule proposée par le moteur de recherche d’itinéraire de CFF.ch.
«On ne peut rien faire»
«Nous sommes en train de préparer une interpellation à l’échelon cantonal», explique Gilbert Tornare, président de la commune de Bourg Saint-Pierre, qui déplore la situation mais se déclare impuissant à la régler. Tout comme le directeur de TMR, ainsi que le chef du Service des transports de l’Etat du Valais Stéphane Burgener: «C’est la Confédération qui a décidé d’appliquer les accords à la lettre. On ne peut rien faire», conclut-il laconiquement.
Du côté de l'OFT, on se borne à confirmer l'information, en précisant que l'autorisation d'exploitation de la ligne Martigny-Aoste dépend du ministère des transports italiens. Aucun accord bilatéral avec l'Italie ne permet, en l'état, de contourner cet accord.
Vincent Cherpillod