Les travaux de rénovation vont bon train à la ferme de La Petite Schönberg, à Vermes (JU). Reprise le 1er janvier par Rachel et Joseph Kohler, l’exploitation agricole se situe à l’écart des sentiers battus. «Nous n’y emménagerons que dans quelques mois, mais mon mari y monte déjà chaque jour. C’est donc là qu’arrive le courrier de l’exploitation», explique Rachel Kohler.
Or, au début de l’année, surprise: la boîte aux lettres reste vide. Après un téléphone et un avis du facteur, il s’avère que La Poste a bloqué le courrier des Kohler, au motif que la maison est trop éloignée pour être desservie. En contrepartie, le couple se voit proposer une case postale à quelque 8 km de là. Le même sort sera réservé à la mère de Joseph, Rosemarie Kohler, qui habite là depuis toujours. Sa boîte aux lettres restera certes au même endroit, mais son domicile postal se situera un peu plus loin dès le mois de mai 2015. L’office postal de Delémont a donc saisi l’occasion pour suspendre la distribution.
«Je trouve ça incroyable, s’indigne Joseph Kohler. Nous voyons passer le facteur qui se rend chez les voisins, mais plus chez nous. Et cela, alors qu’il ne se déplace qu’un jour sur deux!»
Sécurité et économie
«L’ordonnance de 2012 n’a pas changé notre pratique», rétorque la porte-parole de La Poste, Nathalie Dérobert Fellay. Ce texte stipule qu’elle n’est tenue de distribuer les envois postaux à domicile que «si la maison concernée fait partie d’une zone comprenant au moins cinq maisons habitées à l’année et regroupées sur une surface maximale d’un hectare». Dans le cas contraire, le facteur ne doit pas consacrer plus de deux minutes (aller et retour)pour desservir l’immeuble en question. La Poste examine uniquement les cas particuliers lors d’un changement d’adresse. En Suisse, quelque 830 maisons, soit 0,05% du parc immobilier, ne reçoivent plus la visite du facteur. On leur propose alors des solutions de remplacement.
«La sécurité du personnel, notamment en hiver, compte aussi», ajoute Nathalie Dérobert Fellay. Sans parler du point de vue économique, car le secteur de «Réseau postal et vente» de La Poste est déficitaire. (Lire encadré.)
L’Union suisse des paysans alertée
En 2013, La Poste a rayé de la tournée du facteur, pour les mêmes raisons, la Pinte du Motélon près de Charmey, rapporte le quotidien La Liberté. Les nouveaux exploitants se rendent désormais eux-mêmes à la station pour y recevoir lettres et journaux. Et tant pis pour les exploitants des chalets d’alpage reliés au monde par la buvette. La tenancière Sonia Nicolet a suggéré de limiter le service à la belle saison, mais le géant jaune est resté sourd.
Ces cas ne sont pas isolés, si bien que, à la fin de 2014, les dirigeants de l’Union suisse des paysans (USP) ont rencontré la directrice de La Poste, Susanne Ruoff. Qui s’est engagée à faire son possible pour continuer à desservir les exploitations isolées. «La Poste a désormais la marge de manœuvre pour recourir à des solutions alternatives. Elle a fait preuve de retenue jusqu’ici. Si de tels cas deviennent trop fréquents, l’USP se défendra avec vigueur», avertit Martin Brugger, responsable du dossier à l’USP.
Les clients touchés peuvent faire recours à la Commission fédérale de la Poste (PostCom). Sans beaucoup d’espoir. En février dernier, le Conseil fédéral a en effet donné raison à l’entreprise à ce propos, estimant qu’elle doit rester financièrement viable. La distribution représente la moitié des coûts du service postal universel, et La Poste a le droit de restreindre ses prestations, selon les cas. Le gouvernement trouve donc justifié de réduire la fréquence des passages du facteur ou de déposer le courrier dans une boîte postale moins décentrée.
Claire Houriet Rime
Eclairage
Chiffres noirs, chiffres rouges
En 2014, La Poste a réalisé un bénéfice de 638 millions de francs dont elle a reversé 200 millions à la Confédération. Mais le résultat est très contrasté selon les secteurs. Ainsi, si PostFinance affiche un bénéfice de 382 millions, le secteur «Réseau postal et vente» accuse un déficit de 100 millions. Dans cette optique, le monopole pour les lettres jusqu’à 50 g et qui finance, pour l’heure, le service postal universel, revêt une importance particulière. Un rapport du Conseil fédéral à ce propos est attendu pour l’automne 2015. C’est dire si le service public est fragile.