Depuis une vingtaine d’années, les gares et leurs périmètres immédiats ont changé de visage. A la trappe, la palette et la casquette des chefs de gare: la tâche du «manager de gare», comme on l’appelle désormais, ne consiste plus seulement à gérer le trafic, mais également à faire fructifier l’entreprise.
A l’échelle suisse, les CFF sont l’une des principales sociétés immobilières du pays. Ils sont propriétaires de quel que 3500 bâtiments – dont 800 gares –, sur lesquels veillent 840 collaborateurs. En 2012, le secteur de la pierre de l’ancienne régie a encaissé 379 millions de francs de recettes (voir graphique) pour un bénéfice de quelque 194 millions de francs, dont 150 millions ont pu être directement réinjectés dans le département infrastructure de l’entreprise. Le solde a été consacré à l’assainissement de la caisse de pension du personnel.
Cette stratégie répond aux attentes du Conseil fédéral (lire encadré). Mais quelles sont les incidences sur le marché immobilier des centres-villes, et plus particulièrement sur le commerce de détail et les loyers?
Les petits aussi
Dans les gares, les loyers ont pris l’ascenseur et les commerces, triés sur le volet pour «offrir des services variés et attractifs aux voyageurs», restent ouverts le soir. Mais, à l’heure où la multinationale Starbucks fait son entrée dans les gares, reste-t-il une place pour les petites enseignes?
«Les PME qui proposent des produits novateurs tirent très bien leur épingle du jeu», fait valoir Frédéric Revaz, le porte-parole des CFF. Et de citer l’exemple de Tekoe, qui propose du thé à l’emporter dans les gares de Lausanne, Genève Aéroport, Bâle, Berne et bientôt Genève Cornavin. «Nous visons une rentabilité durable de nos investissements. Nous n’avons donc aucun intérêt à spéculer en fixant des loyers trop élevés et courir le risque de vacance», conclut le porte-parole.
Il en va de même pour les immeubles de logements. «A Genève, les grands projets en zone de développement gérés par les CFF (Pont-Rouge) sont soumis à une réglementation stricte en matière de fixation et de contrôle des loyers», indique Frédéric Revaz. Quant au projet des Eaux-Vives, il comprendra des appartements en PPE et des logements sociaux également réglementés.
Prix du marché
Comment les acteurs du marché immobilier perçoivent-ils la stratégie de ce confrère encombrant? «La politique de dynamisation des gares date de près de vingt ans et le marché a aujourd’hui digéré cet afflux de locaux», constate Claude Chessex, directeur de la Régie Braun à Lausanne. «Il y a de la place pour tout le monde», abonde Patrick Delarive, directeur du groupe éponyme. En général, les autres gérants saluent donc cette dynamique.
Faut-il en conclure que l’ancienne régie s’est transformée en spéculateur pour faire feu de tout bois? «Les immeubles appartenant aux CFF occupent souvent des situations stratégiques où les loyers sont, de manière générale, relativement élevés», observe Hervé Froidevaux, directeur du cabinet de conseil immobilier Wüest & Partner. Mais attention: «Ces propriétés sont toutefois liées à des contraintes importantes (pollution, accessibilité, etc.), de sorte qu’il
faut investir pour les exploiter ensuite, ce qui justifie les prix pratiqués», relève l’analyste.
Pour corser le tout, ces terrains sont en zone sensible et leur exploitation doit généralement se faire en collaboration avec les pouvoirs publics. «Dans certains projets – comme Morges – Sablon-Gare ou TransEurope à Neuchâtel –, les CFF participent financièrement à des aménagements urbains importants, afin d’améliorer la qualité de vie du futur quartier», renchérit Frédéric Revaz.
«De manière générale, les CFF mettent sur le marché une offre complémentaire et répondent à des critères de qualité élevés», ajoute Hervé Froidevaux. Il en va ainsi de la tour de l’Esplanade prévue à côté de la gare de Fribourg, fruit d’un concours d’architecture. Atypique par sa hauteur (60 m) et sa situation, le bâtiment n’entre pas en concurrence directe avec le parc immobilier de la capitale.
Claire Houriet Rime
POLITIQUE
La pression augmente
Le Conseil fédéral a augmenté, au fil des années, ses attentes de rentabilité. Dans leur plaquette, les CFF présentent désormais leur «gérance» comme contribuant à ce que leurs immeubles «figurent toujours parmi les biens immobiliers les plus rentables de Suisse». La société obéit ainsi aux attentes des sept Sages qui lui ont fixé pour objectif «de contribuer à la plus-value des biens-fonds et du portefeuille immobilier».
Pour mémoire, en 2003, les autorités helvétiques avaient les dents moins longues: «Dans le secteur immobilier, la SA CFF coopère avec les autorités cantonales et communales et les aide, dans les limites de ses moyens, à réaliser les pôles de développement dans le périmètre des gares.»