Depuis le début de l’année, quatre lecteurs de Bon à Savoir sont tombés dans le même piège. Leur tort? Ne pas connaître par cœur la «Liste des spécialités» (LS), un document qui recense les médicaments remboursés – près de 10 000! – par l’assurance de base. Tous les quatre suivent un traitement chronique prescrit par leur médecin. Lorsqu’ils se rendent à la pharmacie pour renouveler leur ordonnance, le personnel leur laisse le choix entre plusieurs boîtes. En toute logique, ils optent pour l’emballage qui contient le nombre de comprimés le plus proche de leur besoin. D’ailleurs, quelle importance, puisque leur remède figure sur la liste des médicaments pris en charge par l’assurance?
Le piège se referme
Et, pourtant, importance il y a, car une étude attentive de cette liste révèle l’existence de préparations qui n’y figurent qu’«à moitié». Certains emballages d’une taille bien spécifique seulement sont remboursés et pas les autres! Nos lecteurs n’ont pas été avertis de ces subtilités lors de leur passage à la pharmacie. Ils sont donc rentrés chez eux avec le remède qui leur a été prescrit, mais dans un conditionnement que leur caisse maladie a refusé de payer.
Porte-parole d’Assura, Xavier Studer confirme: «Si une même préparation est commercialisée sous plusieurs emballages, l’assureur maladie ne prendra en charge que ceux qui figurent sur la LS.» Le fait que le médicament acheté soit le bon, et dans la bonne quantité totale, n’y change rien. Qui a besoin de 50 comprimés ne doit pas acheter une boîte de 50 pièces si celle-ci n’est pas sur la liste. Il doit s’en procurer deux de 30 pour être remboursé!
Double punition
Cette position rigide étonne. A priori, il semble dans l’intérêt des caisses maladie de rembourser une grosse boîte plutôt que deux petites. Rabais de quantité oblige, la première option devrait coûter moins cher. Or, contre toute logique, c’est le contraire: le même comprimé peut revenir plus cher dans une grande boîte que dans une petite. Car, dans le cas de nos lecteurs, ce n’est pas la grandeur de l’emballage qui détermine le prix du comprimé, mais son caractère remboursable ou non. En effet, notre enquête montre que les tailles qui figurent sur la LS sont nettement meilleur marché que celles qui sont à la charge du patient (voir tableau).
Celui qui achète la mauvaise boîte est donc deux fois victime: il paie le prix fort et n’a pas droit au remboursement. Mais à qui profite le crime? «Très clairement à l’industrie pharmaceutique, répond Xavier Studer. En optant pour une commercialisation hors LAMal de certains emballages, elle conserve la liberté d'en fixer le prix, sans intervention possible de l’Office fédéral de la santé publique (OFSP). D’où les différences étonnantes relevées ici», avance le porte-parole d’Assura.
Pas un pro de la santé
Le consommateur est-il donc contraint de maîtriser sur le bout des doigts la LS pour éviter de passer à la caisse? «Non, l’assuré n’est pas un pro de la santé, contrairement à son médecin et à son pharmacien, tempère Xavier Studer. Celui à qui l’on a refusé d’indemniser le coût d’un médicament peut se retourner contre eux, s’il n’a pas été dûment informé.» Un avis partagé par l’OFSP et confirmé par plusieurs arrêts du Tribunal fédéral. Reste à savoir pourquoi l’autorité autorise les fabricants à se jouer de la LAMal en sélectionnant les emballages qu’ils veulent voir figurer sur la liste (lire encadré).
Vincent Cherpillod
Comment ils jonglent avec les prix
Pour l’industrie pharmaceutique, il est facile de conserver un médicament dans la catégorie «non remboursé», de manière à pouvoir fixer le prix qui lui chante: il lui suffit de ne pas adresser de demande d’inclusion dans la LS à l’OFSP et de profiter de ses directives en la matière. Celles-ci prévoient que, «si une même préparation est commercialisée sous plusieurs emballages, l’assureur maladie ne prendra en charge que ceux qui figurent sur la LS».
L’OFSP cautionne-t-il cette pratique qui peut tromper le consommateur? «Nous contrôlons si les emballages qui figurent dans la "Liste des spécialités" sont appropriés et ne pouvons interdire aux fabricants de vendre d’autres tailles du même médicament, hors liste», se défend son porte-parole Daniel Dauwalder. On peut toutefois s’étonner que ses directives permettent de jouer sur la taille des boîtes. «Celles-ci ont été prévues pour éviter qu’un fabricant produise des emballages qui ne sont pas appropriés, par exemple trop petits ou trop grands pour la durée normale d’une thérapie, explique Daniel Dauwalder. Dans ce cas, ils ne seraient pas admis dans la LS».
Cette explication concerne-t-elle nos trois emballages? Peu probable: de l’avis de deux professionnels de la santé, l’absence de certaines tailles de boîte ne semble, ici, pas justifiée sur le plan médical. Pour Pascal Bonnabry, pharmacien-chef aux HUG, tous trois peuvent en effet être prescrits à la fois à court et à long terme. Confirmation de Thierry Buclin, médecin-chef au CHUV, même s’il estime discutable un long traitement avec l’Aerius. L’OFSP et les fabricants concernés, de leur côté, ont refusé de nous révéler qui, de l’autorité ou des producteurs, n’a pas voulu inclure ces trois boîtes dans la LS. Le fabricant de l’Eliquis nous a cependant assuré qu’il n’était pas responsable du prix de la boîte de 100 pièces, car il livre tous les comprimés au même prix à la sortie d’usine. Il estime que la faute en incombe aux pharmacies dans ce cas précis.
Pas que des malheureux
Selon l’OFSP, ces médicaments «à cheval» sur la LS sont rares. Il suffit, pourtant, de se pencher sur les 200 premières entrées de la liste pour en dénicher deux de plus. Le porte-parole d’Assura nous en suggère trois autres. Nous en sommes déjà à huit*. Mais cette situation ne fait pas que des malheureux: «Si on avait fait inscrire notre produit dans la LS, l’OFSP nous aurait obligés à baisser son prix. Or, pour nous, c’est plus rentable de vendre moins de tubes, mais plus cher», déclarait, en 2006, le responsable du département scientifique de Novartis à nos confrères de l’Hebdo. Près de 10 ans plus tard, le Voltarène Emulgel – c’est de lui qu’il s’agit – joue toujours avec la LS. Le petit tube de 50 g est remboursé. Pas le grand de 100 g.