A chaque saison, de nouvelles créations embaument les rayons des parfumeries. Mais la plupart ont une odeur éphémère et n’arrivent pas à s’affirmer à long terme. Les fabricants continuent pourtant à inventer des mélanges inédits, pour titiller le nez des consommateurs. Il faut dire que c’est un marché juteux, qui rapporte chaque année 400 millions de francs à l’industrie suisse.
Or, pour beaucoup de fabricants, l’appât du gain passe avant la santé des consommateurs: notre test montre, en effet, que la plupart des parfums contiennent des substances problématiques, notamment du musc synthétique. A notre requête, le Laboratoire de recherche sur l’environnement Wiertz Eggert Jörissen, à Hambourg, a analysé vingt-sept eaux de toilette et parfums. Parmi lesquels figurent les dix produits les plus vendus pour homme et pour femme. Les experts devaient répondre à trois questions:
- Les parfums contiennent-ils des composés nitromusqués?
- Contiennent-ils aussi des composés de musc polycycliques?
- Contiennent-ils enfin des diéthyle-phtalates, utilisés pour dénaturer l’alcool?
Composés nitromusqués
Le résultat laisse songeur: deux parfums seulement ne contenaient aucune de ces substances et sont donc recommandables. Il s’agit de:
• Chiemsee Man Natural Spray.
• J’adore de Christian Dior.
Certains producteurs continuent, en effet, à utiliser des composés nitromusqués. Pourtant, on sait depuis longtemps que ces substances s’accumulent dans la nature. L’un d’eux, le musc-xylène, qui est entré dans la composition des parfums durant de longues années, est considéré comme cancérigène. Un autre, le musc-ambrette, également utilisé par le passé, a provoqué des altérations du système nerveux et des modifications du patrimoine génétique lors d’expériences menées sur des animaux.
Aujourd’hui, les producteurs utilisent le musc-cétone, soi-disant «doux». Mais cette substance est-elle vraiment inoffensive, alors qu’on l’utilisait autrefois comme désherbant?
Les quatre parfums suivants contiennent du musc-cétone:
• Lacoste pour homme.
• Chanel No 5.
• Nina Ricci L’Air du Temps.
• Yves Saint Laurent Opium.
Composés de musc n polycycliques
La déclaration de ces substances reste très insuffisante. «Impossible d’éviter le musc synthétique, puisqu’il n’est pas indiqué sur l’emballage», constate Margret Schlumpf, toxicologue à l’Université de Zurich. Il est vrai que la désignation «parfum» ou «fragrance», qui regroupe d’innombrables substances, est suffisante aux yeux de la loi.
Un autre groupe de produits chimiques échappe à toute déclaration. Il s’agit des composés de musc polycycliques, qui ont remplacé les composés nitromusqués, soit la première génération de musc synthétique. Des études récentes ont montré que ces nouvelles substances se dégradaient tout aussi difficilement dans la nature que les anciennes. Et elles traversent la peau sans peine pour se fixer dans les graisses du corps humain. Une étude allemande l’a d’ailleurs prouvé: un échantillon sur deux de lait maternel était chargé de ces substances. Comme les nourrissons ont un système immunitaire à peine développé et que l’effet de ces substances sur le corps humain n’est pas encore suffisamment bien étudié, la charge pour les petits enfants devrait être réduite au minimum.
Effets secondaires mal connus
Le laboratoire d’analyse a décelé ces substances douteuses – parfois en grande quantité – dans 11 des 12 parfums pour homme testés et dans 13 des 15 articles pour femme. Comme les jeunes utilisent des cosmétiques et des parfums toujours plus tôt, le problème devrait s’intensifier, estiment les spécialistes. Car le musc synthétique se cache partout: dans les savons, shampooings, laits corporels, lotions après-rasage, parfums, produits de nettoyage, poudres à lessive ou désodorisants. Et on en trouve aussi dans les eaux, les fruits de mer et les poissons.
Pour l’heure, il est impossible d’évaluer l’étendue de la menace que représentent ces substances, car la recherche n’est pas encore assez avancée. Mais on soupçonne ces produits chimiques d’appartenir aux substances cancérigènes.
Le point de vue de l’industrie, qui met sur le marché environ 10 000 tonnes de ces huiles parfumées par année, est évidemment très différent: l’Association européenne des fabricants de cosmétiques et de produits de nettoyage a même essayé de démontrer l’innocuité des composés de musc polycycliques. Mais le dossier présente un désavantage de taille: il a été financé par l’industrie!
Inoffensifs selon les fabricants
Dans une prise de position après avoir pris connaisance des résultats du test de Bon à Savoir, Christian Dior, Givenchy et Estée Lauder insistent d’ailleurs sur le caractère inoffensif de ces substances. Selon eux, il n’aurait jamais été question d’un risque cancérigène... Et elles ne représenteraient aucun danger pour les nouveau-nés. De plus, Christian Dior et Givenchy contestent les analyses du laboratoire Wiertz Eggert Jörissen: la proportion des substances mises en évidence dans leurs propres laboratoires serait différente. Quant aux autres fabricants, ils n’ont tout simplement pas réagi.
Diéthyle-phtalates
Le concentré de parfum est dilué en majeure partie dans de l’alcool. Les eaux de toilette – tout comme d’ailleurs les eaux de parfum plus onéreuses – contiennent entre 70 et 90% de cette substance bon marché, qui irrite et dessèche la peau.
Plus grave: pour échapper à l’imposition sur les spiritueux, cet alcool est rendu inconsommable, le plus souvent grâce à des phtalates. Ces substances, qui pénètrent dans les cellules au contact de la peau, modifient la composition du sang et auraient des effets négatifs sur le système hormonal. Ils sont souvent utilisés par l’industrie pour assouplir le plastique, par exemple dans le PVC. C’est ainsi que ces phtalates ont acquis une mauvaise réputation. Certains sont même interdits dans les jouets pour enfants!
«Il est vrai que certains produits de la famille des phtalates pourraient influencer le système hormonal. Mais pas les diéthyle-phtalates, utilisés en parfumerie», affirme, de son côté, Givenchy.
Chiemsee «propre»
En fin de compte, deux parfums seulement ne contenaient aucune trace de substances douteuses. La firme Muelhens de Cologne, qui produit la marque Chiemsee, jugée très recommandable, n’est pas surprise de ces résultats: «Pour élaborer nos parfums, nous renonçons à toute substance douteuse.»