Il y a quatre ans, Marc Bacchetta perdait son épouse et se retrouvait seul avec deux enfants adolescents à charge. La Loi suisse accordait alors une rente à vie aux veuves alors que, pour les veufs, celle-ci s’éteignait aux 18 ans du dernier enfant. «Cette échéance m’a beaucoup travaillé, je suis devenu un papa veuf avec deux enfants aux études et une maison que nous avions acheté à deux. Je me suis retrouvé seul pour tout payer, avec un salaire qui suffisait à peine», confie notre lecteur.
Dans son budget, la rente représente un apport annuel substantiel d’environ 18 000 fr. Pendant des années, notre abonné a donc appréhendé le moment où cette aide devait cesser, sa cadette fêtant ses 18 ans en juin 2023. Mais une décision de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) du 11 octobre 2022 a tout changé.
Inégalité discriminatoire
En regardant le téléjournal, le Genevois de 48 ans apprend, ce soir-là, que la Cour a donné raison à un Appenzellois qui estimait que la suppression de sa rente à la majorité de son cadet était discriminatoire, puisque les veuves continuent d’en percevoir une. Marc Bacchetta décide de s’adresser à Bon à Savoir afin de connaître les démarches qu’il devrait accomplir pour faire valoir ses droits, à l’instar du plaignant appenzellois. Nous lui avons annoncé une bonne nouvelle: l’arrêt est définitif et juridiquement contraignant pour la Suisse en ce qui concerne les veufs avec des enfants, sans effet rétroactif.
En conséquence, la Confédération a immédiatement pris des mesures (lire encadré):
- Les hommes mariés qui ont des enfants (quel que soit leur âge) et qui deviennent veufs après le 11 octobre 2022 bénéficient désormais d’une rente qui ne s’éteint plus aux 18 ans du cadet.
- Le changement est similaire pour les veufs qui avaient des enfants mineurs et qui percevaient déjà une rente le 11 octobre 2022, ce qui est le cas de Marc Bacchetta.
«Je n’y croyais tellement pas que j’ai dû relire nos échanges trois ou quatre fois», confie notre lecteur au bout du fil, visiblement très soulagé, mais aussi un brin en colère. «A quelques mois près, je n’y avais pas droit. Quand on devient veuf, on ne reçoit pas d’informations, il faut tout aller chercher soi-même. Je n’ai pas reçu le moindre courrier depuis quatre ans, et, surtout, aucun courrier concernant les changements survenus en octobre.»
Dans les faits, pourtant la décision de la CEDH risque de ne représenter qu’un répit pour les papas veufs, et elle pourrait même péjorer considérablement la situation des veuves.
Coupes impitoyables dans les rentes
L’arrêt de la Cour européenne stipule que les veuves et les veufs avec enfants doivent être traités sur un pied d’égalité, mais elle n’indique pas de quelle manière. Les dispositions immédiates que la Suisse a prises sont transitoires, jusqu’à ce que les bases légales soient modifiées, en respectant la procédure législative. Or, si cette harmonisation s’est provisoirement faite vers le haut, elle risque de se concrétiser très violemment vers le bas.
Après avoir annoncé, en mars déjà, sa volonté de profiter de la décision de la CEDH pour réaliser des économies, le Conseil fédéral vient de préciser, à la fin juin, les grands axes de son projet. Et les mesures souhaitées sont drastiques: les rentes de veuve et de veuf s’éteindraient aux 25 ans du plus jeune enfant. En outre, les veufs et les veuves mariés ou divorcés, qui n’ont plus d’enfants à charge, toucheraient une rente pendant deux ans seulement. Avec ces mesures, l’Exécutif fédéral entend réaliser des économies féroces de près d’un milliard de francs par an. Le projet de loi sera mis en consultation cet automne, puis soumis au Parlement. Après la décision finale des Chambres, il pourrait encore y avoir un référendum et une votation populaire.
Sébastien Sautebin
Quelques règles actuelles
Tant que les mesures transitoires seront en vigueur:
- L’arrêt de la CEDH ne s’applique ni aux veufs sans enfants ni aux hommes divorcés dont l’ex-conjointe décède. Les premiers n’ont toujours pas droit à une rente et, pour les seconds, elle cesse, comme avant, lorsque le cadet atteint l’âge de 18 ans.
- Pour les veufs dont les rentes ne sont plus limitées dans le temps, ces dernières ne s’éteignent qu’en cas de décès, de remariage ou, possiblement, en cas de droit à une rente d’invalidité ou de vieillesse. C’est alors la rente la plus élevée qui est versée.
Comme auparavant:
- Les veuves sans enfants ont droit à une rente si elles ont 45 ans au moins lors du décès du conjoint et qu’elles ont été mariées pendant cinq ans au minimum.
La brochure «Rentes de survivants de l’AVS» (ahv-iv.ch/p/3.03.f) fournit de précieuses informations sur les rentes de veuve, de veuf et d’orphelin.