A la suite d’une action en justice soutenue par Bon à Savoir et son partenaire alémanique K-Tipp, le Tribunal fédéral (TF) a estimé, dans une décision très attendue, tombée le 30 octobre 2012 (1), que les rétrocessions perçues par les banques agissant en qualité de gérantes de fortune appartiennent au client.
La commission d’état est une rétrocession
Les juges de Mon-Repos s’étaient déjà prononcé en 2006 sur les rétrocessions perçues de tiers par les gérants de fortune externes. La Haute Cour avait alors consacré l’obligation de rendre ces valeurs patrimoniales aux clients, estimant qu’elles étaient étroitement liées à l’exécution du mandat du gérant consistant à faire fructifier la fortune qui lui était remise en gestion.
L’arrêt de 2012 se montre plus précis encore. Il confirme que l’obligation de restitution s’applique aussi aux banques actives dans la gestion de fortune et aux commissions d’état qui leur sont versées par des sociétés externes comme de leur propre groupe, lorsqu’elles distribuent à leurs clients des fonds de placement ou des produits structurés émis par ces sociétés tierces ou du même groupe. Selon le TF, ces sommes reviennent aussi aux clients.
Prenons l’exemple fictif de Jacques Dupuis et admettons qu’il a confié un patrimoine de 100 000 fr. à sa banque UCB dans le cadre d’un mandat de gestion. Celle-ci souscrit pour 50 000 fr. des parts d’un fonds de placement géré par la société Lambda. Cette dernière prélève sur la fortune du fonds une commission de gestion annuelle de, par exemple, 1,25%, soit 625 fr. dans le cas de Jacques Dupuis. Etant impliqué dans le fonds de placement par le biais du mandat de gestion, notre client fictif paie indirectement cette commission, qui s’ajoute à celle qu’il doit directement à la banque au motif du mandat de gestion. Sur la base du contrat de distribution conclu entre la banque UCB et la direction du Fonds Lambda, cette dernière rétrocède toutefois à la banque une partie de la commission de gestion débitée au fonds de placement, soit environ 375 fr. dans notre exemple. Le montant de cette prime, appelée «commission d’état», est lié au volume d’affaires et sert à rémunérer les activités de commercialisation que la banque a déployées en faveur du fonds de placement. Selon le TF, cette commission est assimilée à une rétrocession appartenant au client, et doit donc lui revenir.
L’obligation de restitution ne concerne que les rétrocessions (dont les commissions d’état) versées par des tiers ou les sociétés d’un même groupe. Les frais divers ou d’administration payés par le client à la banque pour la gestion de son patrimoine ne sont pas concernés par la décision de la Cour suprême.
Ménage à trois: conflit d’intérêts
Dans ce genre de relation, il y a ainsi un conflit d’intérêts. D’une part, la banque s’engage, contre rémunération, à gérer fidèlement le patrimoine de son mandant dans le but de lui obtenir le meilleur rendement. D’autre part, elle perçoit d’un tiers des commissions d’état, calculées en fonction des sommes placées dans des produits déterminés. Le risque est alors que les placements choisis ne soient pas forcément les plus intéressants pour l’investisseur, mais les plus rentables pour la banque.
Peut-on d’emblée renoncer à récupérer les rétrocessions?
Les clauses contractuelles précisant que les rétrocessions appartiennent au gérant de fortune ne sont valables que si le titulaire des avoirs est conscient des montants prévisibles auxquels il renonce. L’indication d’une fourchette sous forme de pourcentage est autorisée (par exemple de 0,5% à 1%). Si le client a accepté de telles mentions dans le contrat, il ne lui est plus possible de réclamer un remboursement par la suite. En revanche, une clause trop générale telle que «le client renonce à toute rétrocession» est nulle.
Gestion de fortune uniquement
Le Tribunal n’a traité que la question des avoirs sous contrat de gestion de for-
tune. Dans une telle relation d’affaires, la banque, sur la base d’un accord écrit, décide seule et de manière autonome des investissements à effectuer. Les relations de conseil à la clientèle ou de simple exécution d’ordres n’ont pas été abordées par les juges. Pourtant, dans le cas du conseil surtout, il existe les mêmes conflits d’intérêts: le conseiller peut être lié par un contrat de distribution au promoteur d’un produit financier (fonds de placement ou produit structuré). Dans ces cas, le banquier pourrait aussi être tenté d’orienter le choix du client vers les produits qui lui procurent le plus de bénéfices. Par assimilation avec le mandat de gestion, les rétrocessions découlant d’une relation de conseil devraient aussi être restituées au client.
Délais pas clairs
Si la banque est tenue de rendre ce qu’elle a conservé à tort, la question du délai à partir duquel elle doit le faire n’est pas expressément tranchée. Généralement, les créances se prescrivent par dix ans: le lésé serait alors en droit de réclamer un remboursement sur les dix dernières années. Certains juristes du domaine bancaire contestent cependant cette position et prétendent que les rétrocessions sont des prestations périodiques (sommes versées à intervalles réguliers sur la base d’un seul et même rapport de droit), soumises alors à une prescription de cinq ans. Les banques ont, pour certaines, adopté cette position de principe, profitant du silence du TF sur ce point pour s’enfiler dans la brèche et ne rembourser que sur une plus courte période. Comme pour les cas des autres mandats de conseil ou de simple exécution d’ordres, il faut donc espérer qu’une procédure judiciaire aboutisse bientôt, afin de clarifier la situation.
Silvia Diaz
(1) ATF 4A_127/2012 du 30 octobre 2012.
Conseils pratiques
La Finma à la rescousse
Moins d’un mois après l’arrêt du Tribunal fédéral du 30 octobre 2012, l’Autorité de surveillance des marchés financiers (Finma) a exigé des banques qu’elles prennent une série de mesures concrètes. Elles doivent donc:
- tenir compte de la décision du Tribunal fédéral dans le cadre de leurs activités courantes;
- prendre contact avec toutes les personnes potentiellement lésées;
- indiquer à quel service le client doit s’adresser pour obtenir des renseignements; lui indiquer le montant des commissions perçues par la banque.
Malgré ces injonctions, ces informations ne sont pas toujours faciles à obtenir et beaucoup de procédures n’avancent pas.
Comment agir?
Un client lésé est confronté à l’une de ces deux situations:
- il a signé avec sa banque ou un gérant de fortune externe un contrat de gestion de fortune;
- il n’a pas renoncé à percevoir les rétrocessions par le biais d’une clause valable indiquant un ordre de grandeur prévisible des montants auxquels il renonce (lire ci-contre).
Il doit alors interpeller sa banque par le biais de la lettre type à télécharger sur notre site internet
Si, après l’envoi du courrier, la banque:
- refuse de lui communiquer les services compétents pouvant traiter sa demande ou les montants exacts des rétrocessions perçues;
- n’entre pas du tout en matière sur sa demande;
- ne donne pas signe de vie;
- invoque une clause de renonciation nulle.
Alors, la jurisprudence du Tribunal fédéral et les directives de la Finma sont clairement violées. Le lésé peut alors s’adresser au médiateur des banques suisses (2).
En revanche, le client sera contraint d’ouvrir une action judiciaire sur le plan civil, avec l’aide d’un avocat spécialisé, s’il se trouve dans l’une des situations suivantes:
- il ne s’agit pas de contrat de gestion de fortune, mais de placements à la suite d’une relation de conseil avec son banquier;
- il y a un litige au sujet du délai de prescription: la banque est d’accord de restituer les montants sur les cinq dernières années au lieu de dix ans.
Dans ses éventuelles démarches en justice, le client demandera à la banque de préciser combien elle lui doit et exigera le remboursement de ses frais, plus intérêts. Dans cette démarche, le plaignant a l’obligation d’indiquer dans sa requête le montant réclamé, mais il doit préciser qu’il est provisoire. Les chiffres devront, en effet, être corrigés dès qu’ils seront connus.
(2) Ombudsman des banques suisses, Bahnhofplatz 9, case postale 1818, 8021 Zurich. Par téléphone (français): 021 311 29 83, de 8 h 30 à 11 h 30. www.bankingombudsman.ch/fr