A la fin du mois de mai, les pyramides de cartons de rosés envahissaient déjà les supermarchés (sauf Aldi et Lidl, il faut le souligner). L'an dernier, le match opposant traditionnellement la Suisse à la France, a tourné en faveur des vins locaux (40% contre 38% de parts de marché) et, sur le plan national, au rosé de pinot noir du Valais (2,4 millions de bouteilles), qui a détrôné la dôle blanche (2,1 millions de bouteilles).
Notre dégustation donnait à apprécier des rosés helvétiques et des français, tous de 2015. Et c'est un œil-de-perdrix du Valais, soit un rosé de pinot noir selon la législation, qui s’impose devant un autre «œil», de Neuchâtel. Les palais de notre jury rejoignent donc les préférences des consommateurs suisses. On notera que, au niveau du prix, malgré les actions qui avaient déjà débuté dans les principaux supermarchés, les sept vins suisses classés étaient à une médiane de 11.90 fr., contre cinq vins français à 9.10 fr.
Un vin «techno»
La dégustation s'est faite à l'aveugle et les vins ont été dégustés pêle-mêle, sans tenir compte de leur origine.
Les deux premiers, ex æquo avec 14.6 points sur 20, sont d'un profil très différent. Le rosé valaisan n'a pas été reconnu et un des dégustateurs l'a trouvé avant tout «techno», avec les qualités de fraîcheur et de fruits (rouges) qu'on attend d'un tel vin.
L'œil-de-perdrix neuchâtelois est issu d'une des caves qui en produit le plus, soit près de 200 000 cols. Aloys de Montmollin, le grand-père du propriétaire, Thierry Grosjean, fut un pionnier de ce rosé typique. Il y a plus d'un demi-siècle, il l'a logé dans une flûte rhénane, et donné son étiquette noire qui, aujourd'hui, a été reprise par plusieurs caves. Au Château d'Auvernier, dont le domaine de 43 hectares (auquel s'ajoute l'achat de raisins de 20 ha) est planté aux deux tiers en pinot noir, l'œil-de-perdrix est élaboré selon plusieurs techniques: le pressurage direct, après une macération plus ou moins longue dans de grands pressoirs, et des saignées (tirage) sur des cuves de pinot noir vinifié en rouge. Le résultat est assemblé et mis en bouteilles plusieurs fois par année.
Entre 12% et 14% d’alcool
Les rosés suisses dégustés (à l'exception du «blanc de noirs» classé 11e) sont déclarés entre 13% et 14% d'alcool. Normal, quand on sait que l'Arc lémanique a connu, en 2015, des températures enregistrées à Montpellier il y a 10 ans. Les vins français, bien que sudistes, affichent de plus modestes taux d’alcool: entre 12% et 13%, à l'exception (14%) du seul Tavel classé, la plus ancienne AOC exclusivement réservée au vin rosé.
La mode du rosé du «Sud de France» (sic), et pas seulement des Côtes-de-Provence, paraît, cette année, être au rose pâle. Rares sont les vins qui dévoilent leurs cépages. Exception: le grenache-cinsault de la marque J.P. Chenet, le meilleur marché de la dégustation et qui prend la 4e place. Et quelques rosés bio se sont bien classés (le 3e commercialisé par Coop et le 7e par Manor).
Pierre Thomas
Le rosé, un vin technique, par définition
Il y a deux manières principales de faire du vin. Les raisins à peau blanche sont pressés après avoir été cueillis (ou légèrement macérés à froid) et donnent du vin blanc. Les raisins à peau rouge sont, en général, à jus blanc. Pour extraire de la couleur et des tanins, et obtenir du vin rouge, il faut laisser ces raisins cuver plusieurs jours.
On l'a compris: le rosé est entre les deux. Pour l'obtenir, il est interdit de mélanger un peu de vin rouge avec du vin blanc, sauf pour le champagne rosé. Trois techniques sont utilisées, à partir de raisins à peau foncée et jus blanc:
⇨ le pressurage direct (comme en blanc);
⇨ un léger cuvage, qui peut se faire dans de grands pressoirs: quelques heures de contact des peaux du raisin suffisent à teinter le moût;
⇨ une «saignée» sur des cuves de vin rouge: on extrait du jus déjà coloré.
Comme au Château d'Auvernier, les trois techniques peuvent être utilisées en parallèle.
Ensuite, la vinification d'un rosé est identique à celle d'une vin blanc: fermentation courte, à froid et contrôlée, avec, le plus souvent, des levures industrielles et pas de fermentation malolactique (pour garder de la vivacité). Si vous êtes intolérants au vin blanc, vous le serez aussi au rosé!
Pour plus d’informations, lire notre dossier «Le vin pratique», de Pierre Thomas.