Non sans raison, la justice se montre impitoyable avec les conducteurs qui ne respectent pas la distance avec le véhicule précédant, notamment lorsqu'ils roulent à 120 km/h sur l'autoroute. Notre lecteur ne pensait pourtant pas être concerné lorsque, récemment, il a suivi une voiture à 90 km/h dans un tunnel de l'A9. Il a bien pensé la dépasser, mais y a renoncé, car il aurait alors dépassé la vitesse autorisée. De retour à l'air libre, il comprend qu'il s'agit d'une voiture de police banalisée lorsque, un peu plus loin, les occupants en uniforme le prient de s'arrêter sur le bord de la route et lui reprochent d'avoir roulé trop près d'eux, soit à moins de 40 mètres.
Ce faisant, les agents appliquent vraisemblablement la «théorie» du demi-compteur: 90/2 = 45 mètres. D'autres évoquent souvent celle des «deux secondes» (soit, à 90 km/h, une distance de 50 m.). Ce qui est sûr, c'est que ni l'une ni l'autre ne sont consacrées dans la loi, ni – formellement – dans la jurisprudence. L'article 12 al. 1 de l'OCR (Ordonnance sur la circulation routière) dit simplement: «Lorsque des véhicules se suivent, le conducteur se tiendra à une distance suffisante du véhicule qui le précède, afin de pouvoir s'arrêter à temps en cas de freinage inattendu.»
Tendances générales
Les cas se multipliant, on peut quand même dresser un tableau général des tendances. Ainsi, il semble désormais acquis qu'une distance équivalant ou inférieure à 0,6 seconde soit considérée comme une faute grave, sanctionnée d'un retrait de permis de trois mois au moins. Pour notre lecteur (90 km/h), cela représente une longueur de 15 mètres. Et on peut en déduire qu'entre 15 et 45 mètres, il va s'agir d'une faute moyenne ou légère. Mais lui n'en sait rien pour l'instant: il a simplement reçu une ordonnance pénale de la préfecture le condamnant à une amende de 250 fr. (+ 50 fr. de frais), indiquant qu'il a «circulé à une distance insuffisante en file au volant du véhicule XYZ».
C'est déjà rude, mais pas fini pour autant. Car la police dénonce systématiquement ce genre d'infractions tant à l'autorité pénale compétente qu'au service cantonal des automobiles. «Dès lors, précise Tony Donnet-Monay, avocat de la route, le conducteur est sanctionné deux fois, mais une infraction peut être qualifié différemment, voire plus gravement, par l'autorité administrative qui retire le permis, que ce qu'à retenu le juge pénal». Donc, si le préfet a estimé que l'infraction de notre lecteur valait 250 fr., soit une faute relativement légère, cela n'empêchera (peut-être) pas le service des automobiles de la juger grave et donc de prononcer un retrait de permis de trois mois au moins…
Contestation difficile
Tout ça laisse un goût amer à notre lecteur: «Comment voulez-vous laisser une distance de 50 mètres entre deux voitures sur une autoroute engorgée à 7 heures le matin? Un véhicule va à coup sûr me dépasser et se ranger devant moi, ce qui va m'obliger à ralentir à nouveau pour créer la distance nécessaire, et ainsi de suite…» Il est aussi étonné qu'aucune mesure ne soit précisée dans l'ordonnance pénale, ni comment elle été réalisée. «Selon le lieu, les policiers jouissent d'un capital confiance extraordinaire de la part de la justice, commente Tony Donnet-Monay. Dans certains cantons toutefois, les forces de l'ordre travaillent avec des caméras spéciales qui filment le véhicule en tort, calculent sa vitesse et mesurent sa distance au véhicule “espion“, évitant ainsi tout doute sur l'infraction commise. Dans le canton de Vaud, il n'y pas encore de telles installations et le juge retient souvent comme avérée la seule estimation approximative de la gendarmerie, même si l'on sait la difficulté à estimer une distance entre deux véhicules en mouvement. Mais expérience faite, sauf circonstances particulières ou à moins d'avoir plusieurs témoins prêts à la remettre en cause l'estimation d'un gendarme, il est inutile de la contester devant la justice!»
Christian Chevrolet