Le 1er juillet 2020 avait un goût de victoire pour les producteurs suisses de viande, de lait et d’œufs. Depuis cette date, la loi fédérale autorise, en effet, l’apposition d’une mention «sans OGM» sur les emballages de certains aliments d’origine animale. La condition? Les bêtes ne doivent pas avoir été nourries avec des plantes fourragères génétiquement modifiées ou des produits dérivés de ces dernières. Une précision qui doit figurer aussi sur l’emballage. Ce changement, qui inclut les importations, harmonise le droit suisse avec la législation européenne. Il résulte aussi d’un long lobbying des milieux agricoles. Longtemps, ces derniers se sont ainsi plaints d’un «handicap concurrentiel» face aux aliments importés.
«Handicap concurrentiel»
Pour comprendre ce reproche, il faut se souvenir qu’un moratoire, voté par le peuple en 2005 et prolongé jusqu’en 2021, interdit la culture des OGM dans notre pays. L’utilisation de plantes fourragères génétiquement modifiées pour l’alimentation des animaux est toutefois possible. Mais les agriculteurs suisses, conscients de la méfiance de la population, ont choisi d’y renoncer et d’utiliser exclusivement du fourrage sans OGM, qui est plus cher.
Or, jusqu’au 1er juillet, la législation suisse, très stricte, ne leur permettait guère de vanter ce choix sur les emballages (lire encadré). Leur marchandise se retrouvait donc sur les étals à côté de produits importés dont les animaux ont souvent été nourris aux OGM, sans que les consommateurs suisses ne puissent le savoir. Le droit suisse, en effet, n’impose pas de déclarer l’utilisation de fourrage transgénique dans l’étiquetage.
Une mention controversée
Les paysans, qui s’estimaient désavantagés, ont donc fini par obtenir gain de cause. Mais la nouvelle mention est controversée.
Martin Brunner, chimiste cantonal zurichois, explique ainsi que «même si la poule a mangé du soja génétiquement modifié, on ne peut pas le voir en analysant l’œuf». Pour les vérifications, les autorités cantonales devront donc se baser en premier lieu sur les documents fournis par les producteurs. «Cela n’empêchera pas quelqu’un qui a l’intention de tromper de le faire», reconnaît Eva van Beek, de l’Office fédéral de la sécurité alimentaire (OSAV).
Le problème est encore plus complexe avec les denrées composées. Le canton de Schwytz soulignait ce problème en 2014 déjà, lors d’une première proposition de changement de la loi, estimant qu’«il est tout simplement impensable» que les autorités de contrôle cantonales puissent vérifier si les animaux qui ont servi de base à la confection d’un salami italien n’ont vraiment pas mangé de soja ou de maïs OGM.
Enfin, il faut savoir que les additifs, tels que les vitamines, les acides aminés ou les enzymes ajoutés dans l’alimentation animale sont souvent fabriqués par génie génétique. Gabriele Pichlhofer de l’association Biorespect, relève que tel peut être le cas, par exemple, de certains ferments et enzymes utilisés dans la fabrication du fromage. Selon elle, «une mention «sans OGM» pour ces produits est alors tout simplement fausse».
Prudence chez Coop et Migros
Selon le principe de l’autocontrôle, le vendeur doit garantir que le produit mis sur le marché correspond bien aux exigences légales. Les deux géants orange jouent donc la prudence. Coop dit étudier actuellement les options et les prescriptions liées à la nouvelle mention. «En règle générale, il est important que l’étiquetage soit transparent et crédible», note Melanie Grüter, sa porte-parole. Migros est plus sceptique. Son attaché de presse Patrick Stöpper rappelle que le génie génétique est souvent utilisé dans la fabrication des produits, par exemple avec l’ajout d’additifs dans l’alimentation du bétail. «Nous considérons qu’une mention «sans OGM» peut donc constituer une possible tromperie», confie-t-il.
Sébastien Sautebin / Vanessa Mistric / Eric Breitinger
La loi était plus stricte avant
Avant l’introduction de la mention «sans OGM» en juillet, la loi autorisait l’indication «produit sans recours au génie génétique», mais il fallait renoncer totalement aux OGM dans tout le processus de fabrication. Or, si les agriculteurs suisses ont bien dit adieu aux fourrages OGM, l’emploi courant d’additifs alimentaires pour les animaux, notamment de vitamines et d’enzymes produits par génie génétique, les empêchait d’utiliser cette indication. D’où un long travail de lobbying. En 2009 déjà, le conseiller national Laurent Favre (PLR/NE) demandait que les règles européennes régissant la mention «sans OGM» soient appliquées en Suisse aussi. Mais, face à l’opposition de cantons, ce sera finalement la motion déposée en 2015 par le conseiller national Jacques Bourgeois (PLR/FR), alors président de l’Union suisse des paysans (USP), qui aboutira aux modifications actuelles.