Il faut 18,5 milliards de francs pour stabiliser l’AVS d’ici à 2032, martèle le Conseil fédéral, qui se fonde sur les perspectives financières de l’Office fédéral des assurances sociales (OFAS). Bon à Savoir observe toutefois que les projections de l’office ont tellement évolué depuis 2019 (voir ci-dessous), qu’elles ne sauraient estimer le besoin de financement de façon fiable. Ces 18,5 milliards présentés comme nécessaires sont surévalués.
5 Milliards en plus dans les caisses
En réalité, les réserves du 1er pilier n’ont jamais été aussi élevées. Le fonds AVS a plus que doublé depuis 2001 et atteint presque 50 milliards de francs. Soit 5 milliards de plus que ne le prévoyait l’OFAS… en 2019. Entre ces projections et celles de 2022, le fonds s’éloigne toujours plus de l’assèchement. Au fil des ans, les dépenses augmentent plus vite que les recettes et pourtant, la situation s’améliore, car les réserves augmentent. Le déficit prévu pour 2030 est passé de 4,6 milliards à 1,8 milliard. Alors, flagrant délit de catastrophisme?
«Les années 2019 à 2022 ont été inhabituelles», se défend l’OFAS. «Personne n’a su prévoir l’impact de la pandémie sur l’économie. Très pessimistes au départ, les experts ont ensuite revu avec plus d’optimisme leurs prévisions.» L’argument expliquerait, en partie, l’écart entre les projections de 2021 et celles de mai 2022. Mais les chiffres les plus pessimistes, ceux de 2019, précèdent l’apparition du virus…
L’enjeu du financement
Plutôt que de «prévisions», Matthieu Leimgruber, historien spécialiste des assurances sociales à l’Université de Zurich, parle de «prédictions», tant les projections sur une décennie constituent un exercice périlleux. Or, voilà trente ans que les données volatiles de l’OFAS reposent au cœur de l’argumentaire des partisans des réformes, le but étant de dramatiser le danger encouru par l’AVS. En toile de fond, une bataille «brutalement politique» et un enjeu crucial: la répartition des efforts.
Plutôt que d’élever l’âge de la retraite, la gauche et les syndicats préféreraient une hausse des cotisations salariales, qui n’ont presque pas bougé depuis 1970, pour combler les lacunes de financement de l’AVS. Des hausses des cotisations de l’ordre de 1% tous les huit à neuf ans (soit 30 fr. par mois pour l’employé et autant pour l’employeur sur un salaire de 6000 fr.) suffiraient selon Benoît Gaillard, de l’Union syndicale suisse (USS).
Une solution pourtant taboue à droite, car les patrons devraient mettre la main au porte-monnaie, poursuit Matthieu Leimgruber. Les réformes proposées repoussent toujours l’essentiel du financement sur la population active et, pour cette votation de septembre, sur les travailleuses. Une fois le différentiel entre âge de la retraite des hommes et des femmes comblé, le risque est de passer à la retraite pour tous à 67 ans, «ce à quoi aspire la droite de tous les pays industrialisés depuis les années 1980».
La bonne excuse démographique
L’historien vaudois fait remarquer que l’AVS s’autorégule depuis ses débuts. La capacité d’absorption et la stabilité du 1er pilier se sont révélées impressionnantes: contrairement à ce qu’on entend souvent, une grande partie des baby-boomers (personnes nées entre 1946 et 1970) sont aujourd’hui déjà entrés dans le système de retraite, sans que l’AVS n’amorce le déclin annoncé, et alors qu’aucune révision majeure de l’AVS n’a été acceptée dans les urnes depuis vingt ans.
Le gouvernement ne tient pas non plus compte du fait que le nombre de nouveaux retraités ira en diminuant à partir de 2030, alors que le nombre de cotisants va croître. Depuis 2005, le total des naissances en Suisse augmente en flèche – l’an dernier, il était de 89 400, au plus haut depuis 1972. L’AVS peut s’attendre à une baisse des dépenses et une hausse des recettes dans les années 2030. Mais cela, le livret de votation ne le mentionne même pas…
La productivité a augmenté
Bien au contraire, l’OFAS écrit qu’en 1970, le rapport entre actifs et retraités était de cinq pour un, contre deux pour un aujourd’hui. Certes, mais la productivité et les salaires ont quadruplé ces soixante dernières années: les travailleurs créent davantage de richesses, rétorque l’USS. Les femmes augmentent leur taux d’activité, à des postes mieux formés et mieux rémunérés. Sans compter l’attractivité croissante de la Suisse pour les travailleurs étrangers, entre bons salaires et débouchés professionnels, qui profite à l’AVS.
Les opposants aux réformes du 1er pilier proposent d’autres solutions de financement. En février, l’USS a lancé une initiative pour renforcer l’AVS avec les bénéfices exceptionnels et les taux d’intérêt négatifs de la Banque nationale. La réforme en votation voudrait quant à elle imposer à la population, et surtout aux femmes, de travailler plus pour obtenir moins (lire encadré). Et qu’importe si elles sont déjà désavantagées au niveau des salaires et de la prévoyance professionnelle...
Gilles D’Andrès
Deux objets sur l’AVS soumis au vote
Les bulletins de vote comportent deux objets liés à l’AVS. La modification de la loi fédérale sur l’AVS et le financement additionnel de l’AVS par le biais d’un relèvement de la TVA. Le texte soumis au vote lie le sort des deux scrutins: dire non à l’un invalide l’autre.
Enjeu de la modification de la loi pour les femmes:
- Augmentation de l’âge de la retraite des femmes de 64 à 65 ans. Cela à partir de 2025 et par tranches de trois mois par année. Les femmes nées en 1961 atteignent ainsi l’âge de la retraite après 64 ans et 3 mois, celles nées en 1962 après 64,5 ans, celles nées en 1963 après 64 ans et 9 mois, et celles nées plus tard dès 65 ans.
- Les femmes nées entre 1961 et 1969 reçoivent des suppléments de rente à vie qui vont, selon l’année de naissance et le revenu annuel moyen, de 12,50 fr. à 160 fr. par mois. Parmi les femmes de cette génération dite transitoire, celles qui prennent une retraite anticipée bénéficient de taux de réduction favorables.
Enjeu de la modification de la loi tant pour les hommes que les femmes:
- Il est possible de commencer à percevoir la rente AVS entre 63 et 70 ans (dès 62 ans pour les femmes de la génération transitoire).
- Il est possible de percevoir à l’avance ou d’ajourner une partie de la rente, une règle également valable pour la prévoyance professionnelle.
- En cas d’activité professionnelle au-delà de 65 ans, il est possible de combler les lacunes de cotisation et d’augmenter la rente AVS avec ses versements propres.
Enjeu du financement additionnel de l’AVS par le bias d’un relèvement de la TVA:
- La TVA est augmentée: le taux ordinaire passe de 7,7% à 8,1%; le taux réduit, pour les aliments notamment, de 2,5% à 2,6%; le taux spécial pour les hôtels de 3,7% à 3,8%. L’augmentation de la TVA requiert une modification de la Constitution, pour laquelle il faut la majorité du peuple et des cantons. C’est pourquoi deux propositions sont soumises au vote fin septembre. Si l’une d’elles est rejetée, rien ne changera.
Le 3e pilier n’est pas une alternative
Les assureurs multiplient auprès des femmes les appels à cotiser au 3e pilier. «En matière de couverture financière, c’est sur vous seule que vous devez compter: pas sur l’AVS, pas sur les polices de votre compagnon et pas sur votre employeur», écrit Swisslife sur son site Internet. «En Suisse, les femmes obtiennent pour leur retraite un tiers en moins que les hommes», indique la Bâloise. «Il est donc essentiel qu’elles s’occupent au plus tôt de leur prévoyance.» Axa, Generali, La Mobilière, etc.: les assureurs dédient des pages entières à la prévoyance du 3e pilier pour les femmes.
Pourtant, celui-ci n’est en rien comparable à l’AVS pour assurer ses vieux jours. L’Union syndicale suisse a fait le calcul: arriver à une rente du 3e pilier qui égale celle de l’AVS coûterait 272 386 fr. de plus à une femme célibataire avec un revenu médian pendant sa carrière. Une femme seule devrait débourser jusqu’à 600 fr. de plus par mois. S’il peut être intéressant de prendre en main sa prévoyance privée suffisamment tôt et d’agir sur son 2e pilier, cela ne remplace pas l’AVS, même en épargnant une part importante de ses revenus.
Le 3e pilier représente une source de revenu intéressante pour les banques et les assurances. Ce qui explique leur communication offensive.