En découvrant la lettre de sommation envoyée par la société de recouvrement Intrum Justitia SA, Magali Castro Gyr est d’abord restée sans voix: «Au cas où le montant dû ne nous serait pas parvenu dans les cinq jours, des démarches juridiques seront entreprises à votre encontre. Votre nom et la dette mentionnée seront enregistrés dans la banque de données centrale et dans la banque de données négative.»
Certes, notre lectrice savait que des achats avaient été réalisés pour des milliers de francs avec sa carte-client Manor, subtilisée à son domicile durant ses vacances. Mais comme elle n’avait constaté le vol qu’à son retour, son compte était donc déjà à découvert lorsqu’elle a pu faire bloquer la carte et déposer plainte. Manor a alors tenté – mais en vain! – de faire suspendre jusqu’au terme de l’enquête, le crédit, auprès de Atag Debis Card Services SA, la société qui gère ses cartes-clients.
Doublement victime
En effet, comme les conditions générales régissant les cartes-clients stipulent que leurs détenteurs sont pleinement responsables de tout usage abusif jusqu’à la déclaration de perte ou de vol, «Manor ne pouvait être tenu pour responsable», remarque Michèle Cepl, responsable du contrôle des débiteurs chez Atag Debis Card Services SA. Elle admet cependant qu’il aurait fallu attendre la fin de l’enquête avant de transmettre le dossier de Magali Castro Gyr à la société de recouvrement Intrum Justitia SA, mais le processus habituel a suivi son cours, sans faire la part des choses...
Et c’est ainsi que Intrum Justitia SA envoie une lettre de sommation extrêmement incisive le 13 mars 2001. «Son contenu m’a tout d’abord intimidée, se souvient Magali Castro Gyr. Puis, j’ai trouvé révoltant d’être ainsi menacée, alors que c’est moi la victime dans cette histoire!»
A la limite de la légalité
Des menaces que nuance Martin Jakob, porte-parole de Intrum Justitia SA: «Dans nos lettres de rappel, nous mettons seulement nos débiteurs en garde contre les conséquences possibles du non-acquittement de leur dette. Entre autres, leur inscription aux banques de données centrale et négative.» Or, la société de recouvrement le fait sans préciser que ces banques de données correspondent en fait à deux sociétés – Teledata & Kissdirect et Intrum Creditcontrol – qui rassemblent des informations sur la situation économique des entreprises et des particuliers (voir encadré), mais qui ne les transmettent évidemment pas au public.
«Parler de banques de données centrale et négative reste très vague, confirme l’avocat lausannois Eric Stauffacher, spécialiste en droit pénal. Cette formulation pourrait même être assimilée à de la contrainte, car elle laisse entendre aux débiteurs que leur nom apparaîtra sur une liste
à disposition de tout un chacun. Un tel procédé se situe donc à la limite de la légalité!» Et en effet, le Tribunal fédé-
ral estime qu’il y a tenta-
tive de contrainte lorsqu’un créancier intimide sans raison objective son débiteur afin qu’il règle sa dette.
Sophie Reymondin
protection des données
Les mauvais payeurs restent fichés
Teledata & Kissdirect et Intrum Creditcontrol sont deux sociétés qui recueillent des millions d’informations sur la solvabilité des entreprises et des particuliers. Elles vendent ensuite ces informations à d’autres sociétés, qui peuvent ainsi identifier les mauvais payeurs et les éviter.
Mais attention: si la loi sur la protection des données permet, en effet, à un tiers d’accéder à des informations sur la solvabilité d’une personne, elle ne peut le faire que lorsqu’elle va conclure un contrat avec cette même personne. «Et en principe, commente Kosmas Tsiraksopulos, porte-parole du Préposé fédéral à la protection des données, ces sociétés respectent la loi. Mais il existe toujours le risque que des erreurs se glissent dans ces bases de données...»
Si vous pensez figurer sur l’une de ces listes, vous avez droit d’y accéder pour vérifier que les informations vous concernant sont exactes. A défaut, vous pouvez exiger une correction. Et si la société refuse d’entrer en matière, vous pouvez déposer plainte auprès de l’autorité judiciaire compétente.