Faut-il préciser qu’on ne veut pas de glaçons lorsqu’on commande un verre à la terrasse d’un café? D’un point de vue sanitaire, la réponse est clairement non. Il n’empêche qu’ils ne sont pas toujours impeccables, comme le montre une enquête que Bon à Savoir vient de mener avec l’émission On en parle (RTS La Première). Six des 35 échantillons que nous avons prélevés dans les chefs-lieux des cantons francophones ainsi qu’à Bienne (voir tableau et lire encadré) présentaient une contamination, soit environ 17%.
Dans trois cas, nous avons trouvé des germes aérobies mésophiles (GAM) en quantité excessive, à une reprise, des entérocoques (germes d’origine fécale) et, dans deux échantillons, à la fois des GAM et des entérocoques. Les premiers témoignent d’un entretien mal maîtrisé des machines à glaçons et, les seconds, d’une hygiène lacunaire du personnel.
Une bonne nouvelle
A titre de comparaison, ces résultats sont meilleurs que ceux obtenus par le chimiste valaisan dans son canton en 2011 où huit des 27 établissements (30%) n’avaient pas donné satisfaction, et moins bons qu’une analyse jurassienne de cette année (trois non conformes sur 29 contre six non conformes sur 31 en 2011).
Il faut noter que nous avons aussi recherché la présence de Pseudomonas aeruginosa, et que nous n’en avons pas trouvé. «C’est une bonne nouvelle qui nous a beaucoup plu», commente Elmar Pfammatter, chimiste cantonal valaisan, dont le laboratoire a mené les analyses à notre demande. Ces germes, parfois très résistants, qu’on trouve largement dans l’eau, peuvent être, par exemple, responsables d’infections urinaires.
«Soda fécal»
La présence d’entérocoques dans trois restaurants est un peu moins réjouissante. Selon les recommandations légales, on ne devrait tout simplement pas en trouver. Cette contamination, qu’elle provienne des glaçons, du verre ou de la cuillère qui les accompagnait parfois (lire encadré), trouve très probablement son origine dans l’hygiène lacunaire d’un ou de plusieurs collaborateurs après leur passage aux toilettes. «Dans l’échantillon où nous en avons relevé 177 unités par 100 millilitres, c’est beaucoup trop», regrette Elmar Pfammatter.
Mais quel risque courrez-vous si le serveur vous apporte un soda ainsi contaminé?
«Des entérocoques, nous pouvons aussi en avoir sur nos mains et souiller ainsi nous-mêmes la tartine ou le fruit qu’on mange», relativise Anne Ceppi, cheffe du service de la consommation du can ton du Jura et vétérinaire cantonale.
«Du point de vue sanitaire, le risque est minime. Je ne pense pas qu’il faille arrêter de consommer des boissons avec des glaçons dans ces établissements», estime, de son côté, Sabine Nerlich, adjointe du chimiste cantonal vaudois et responsable de l’Inspection des denrées alimentaires. Un discours rassurant partagé par le professeur Didier Pittet, médecin chef du Service de prévention de l’infection aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG): «Notre flore intestinale contient des milliards de bactéries, dont des entérocoques. Les quantités relevées lors de l’enquête ne présentent pas de risque pour les consommateurs.»
Hygiène du restaurant
Il n’en demeure pas moins que la présence de germes fécaux est un excellent indicateur d’une probable hygiène déficiente d’un ou plusieurs collaborateurs. «Dès lors, le problème doit être résolu, faute de quoi le risque existe que des consommateurs soient victimes d’infections si ces employés concernés présentent une infection digestive, par exemple avec une salmonelle» prévient Gilbert Greub, médecin chef des laboratoires diagnostiques de l’Institut de microbiologie du CHUV.
Lors d’analyses en 2011, le Laboratoire cantonal jurassien, qui avait trouvé des entérocoques dans six des 31 échantillons prélevés, estimait ainsi «que l’hygiène des mains et des ustensiles utilisés pour extraire les glaçons doit être assurée et qu’une instruction correcte doit être donnée par les tenanciers d’établissements publics à leur personnel».
Lorsqu’ils constatent un problème, les chimistes cantonaux adressent un avertissement à ces établissements et leur demandent de prendre des mesures. Ils peuvent également faire une nouvelle visite et, si la situation l’impose, dénoncer le restaurateur à l’autorité compétente ou, selon les cantons, amender directement le contrevenant.
Germes aérobies mésophiles
Les germes aérobies mésophiles ne sont pas pathogènes, et ne représentent donc aucun danger pour la santé. En Suisse, la valeur de tolérance dans les glaçons est de 3000 unités par millilitre. Leur présence excessive, dans cinq échantillons, indique que la bonne pratique de fabrication n’est pas respectée. En général, il s’agit de problèmes liés à la machine à glaçons, qui n’est pas bien entretenue. Les contrôles des chimistes permettent de rappeler à l’ordre les tenanciers.
Face aux résultats
Globalement, les restaurants ont accueilli nos résultats positivement et ont annoncé des mesures immédiates. Le Glob, à Neuchâtel, promet, par exemple, «un lavage intégral hebdomadaire de la machine avec le produit adéquat, l’utilisation d’un ustensile propre pour prendre les glaçons dans la machine, l’utilisation de pinces à glaçons et le respect de l’hygiène corporelle par les employés».
De son côté, le tenancier du Suisse, à Delémont, a pris contact avec le Service cantonal de l’hygiène, afin de déterminer les mesures adéquates. Georges-Henry Boucher, directeur d’exploitation des Brasseurs à Genève – 177 entérocoques et 5200 GAM –, se dit surpris par nos résultats. Selon lui, un organisme international opère régulièrement des analyses et des contrôles, tandis que la machine est «vidée et nettoyée deux fois par mois», et que «les glaçons sont pris au moyen d’une cuillère spéciale». Il estime aussi qu’une contamination accidentelle par les enquêteurs n’est pas impossible. Malgré tout, le directeur d’exploitation annonce qu’«il va augmenter la fréquence de nettoyage à une fois par semaine et renforcer la vigilance pour qu’il n’y ait pas le moindre écart au niveau de l’hygiène du personnel», tout en estimant «qu’il faut être conscient que le risque zéro n’existe pas».
Sébastien Sautebin
Bonus web:qualité des glaçons servis au resto
DANS LE DÉTAIL
L’enquête sur le terrain
Notre enquête a été menée de manière anonyme et les analyses ont été confiées au Laboratoire cantonal valaisan. Après avoir été formés par le chimiste de ce canton sur la manière de récolter des glaçons sans les contaminer, nous nous sommes rendus dans différents cafés et restaurants. Il y a plus de 20 000 établissements de ce type en Suisse. Pour en sélectionner 35, nous avons choisi de nous limiter aux chef-lieux romand ainsi qu’à Bienne. Dans ces villes, nous avons décidé de sélectionner, par tirage au sort, cinq établissements parmi ceux situés dans la gare ou à proximité.
Comme simples clients, nous avons demandé une boisson ainsi qu’un grand verre rempli de glaçons que nous avons discrètement déversé, sans les toucher, dans des sachets stériles. Nous avons ensuite placé immédiatement ces derniers dans une glacière prêtée par le laboratoire et que nous lui avons apporté dans la journée. Cette méthode ne correspond pas à celle du prélèvement officiel où les glaçons sont prélevés directement dans le bac, avant d’être servis. Dans notre protocole, la contamination peut aussi venir du verre ou de l’éventuelle cuillère qui l’accompagne avec lesquels les glaçons sont entrés en contact. Cela étant, notre prélèvement en bout de chaîne a ses avantages puisqu’il permet de connaître les germes que le consommateur retrouvera effectivement dans son verre.