A l’avenue Tivoli 4 et 6 à Lausanne, ce sont des voix inquiètes ou en colère qui bruissent dans les couloirs depuis le début de mai. La Fondation zurichoise d’investissement IST Investmenstiftung (voir encadré), qui a acheté le bâtiment en 2017, va résilier les baux pour tout rénover. Au chômage, Ludovic* n’en dort plus la nuit. Locataire depuis près de trente ans, il ne cache pas son indignation et sa peur: «Laisser les bailleurs négliger l’entretien d’un immeuble pendant des années, pour, ensuite, virer tout le monde sous prétexte qu’il faut tout refaire, c’est un scandale! Qui va choisir un dossier comme le mien alors que, à la télé, on ne parle même plus de pénurie mais d’asséchement du marché locatif?»
Il n’est pas le seul à redouter l’avenir. Dans cet immeuble de 34 logements aux loyers modestes, beaucoup tournent avec de petits revenus. Plusieurs vivent là depuis longtemps, à l’instar de Jeanne*, André* ou Gilda*, locataires depuis respectivement cinquante, cinquante-deux et cinquante-cinq ans. Mais, jeunes ou moins jeunes, tous se sentent trahis.
Promesses non tenues
En octobre 2021, les locataires avaient été avertis par la régie Gérofinance que d’importants travaux seraient réalisés «d’ici à la fin de 2022». Mais, à l’époque, ils avaient reçu la promesse d’un relogement au sein du même immeuble pendant les transformations. «Le propriétaire se porte garant de la prise en charge du déménagement provisoire», écrivait même la régie noir sur blanc. A la place, c’est une résiliation pure et simple qui arrive, aujourd’hui, dans les boîtes aux lettres.
Les raisons exactes de ce revirement restent floues. «Les travaux seront de grande ampleur, et il est impensable de laisser les locataires habiter leur logement dans de telles conditions» nous répond Gérofinance. Qui précise qu’elle même et son client sont loin de prendre le ressenti des locataires à la légère et sont conscients des désagréments que cette décision implique. «Notre rôle sera de bien comprendre leurs besoins et leurs attentes afin de les accompagner au mieux», promet la régie. Peu rassurés par ces propos, ils sont plusieurs à n’avoir, pour l’instant, reçu qu’une proposition de prolongation au 31 mars 2025.
Procédure longue
Pour Xavier Rubli, avocat et président de l’associations de défense des locataires Asloca Régions (Lausanne, Morges, Nord-Vaudois et Renens), c’est clairement insuffisant. «Nous avons, d’un côté, une Fondation d’investissement zurichoise qui rachète un immeuble et cherche le profit pour le profit. De l’autre, des locataires, parfois là de très longue date ou âgés, contraints de se reloger alors que la pénurie ne fléchit pas et que les loyers flambent.» Une situation intolérable pour le spécialiste en droit du bail, qui estime ce congé «contraire à la bonne foi, au vu des promesses non tenues.» Lors d’une séance organisée spécialement par l’Asloca Régions pour les habitants de Tivoli 4 et 6, il les encouage à se battre collectivement: «L’union fait la force! Et la procédure peut durer des années, pendant lesquelles les congés sont suspendus.»
Faire annuler la décision n’est pas gagné d’avance. Car le procédé est légal si le bailleur démontre qu’il a un projet concret et réalisable. Et que la présence de locataires gênerait considérablement le chantier. Il n’est même pas tenu de disposer d’un permis de construire définitif si son projet tient la route.
Prolongation, annulation ou rétropédalage
Pour autant, les locataires ne sont pas démunis. Ils peuvent a minima requérir une prolongation de bail: jusqu’à quatre ans pour les logements et six pour les commerces. Ils peuvent aussi prendre les devants et faire opposition aux travaux lors de la procédure d’enquête publique. «D’expérience, rares sont les projets de transformation où il n’y a rien à redire», glisse Xavier Rubli, également actif en droit de la construction.
En cas de mauvaise foi avérée ou si les travaux sont irréalisables, le congé peut être annulé. Il arrive même que le bailleur fasse marche arrière lorsque la résistance s’organise. Ce fut le cas pour deux immeubles du Parc de la Rouveraie à Lausanne, en 2022. Face à une fronde collective et, après quatre ans de procédure, le propriétaire a accepté de retirer les 160 congés-rénovation et de procéder à des travaux par étapes. En contrepartie, les locataires ont accepté une augmentation raisonnable des loyers.
*Noms connus de la rédaction
Silvia Diaz
Nos conseils
Le locataire qui reçoit un congé sur formule officielle doit réagir vite et bien:
- La contestation doit être adressée à la Commission de conciliation en matière de bail à loyer dans les 30 jours (voir nos lettres-types).
- Elle doit être signée par tous les titulaires du bail et indiquer l’identité du propriétaire de l’immeuble.
- Attention au délai! Même en cas d’absence, le congé est réputé reçu le lendemain du dépôt de l’avis de retrait du recommandé dans la boîte aux lettres.
- En cas de mise à l’enquête publique, il ne faut pas hésiter à consulter le dossier. En cas de doute, mieux vaut déposer une opposition et consulter un spécialiste.
Derrière la rénovation, les millions d’une fondation
Qui donc est IST Investmentstiftung, la fondation qui résilie les baux lausannois? Elle regroupe les institutions de prévoyance de poids lourds tels que Migros, OM Pharma, Roche ou encore des cantons de Lucerne, d’Argovie et de Thurgovie. Elle a été fondée par en 1967 par 12 caisses de pensions et compte aujourd’hui quelque 460 membres. En 2022, elle gérait une fortune nette de 8,7 milliards de francs dont 2 milliards en placements immobiliers.