Il n’y a pas si longtemps, Swisscom était seul à acheminer les communications vers les numéros spéciaux, et notamment vers les 0906..., trustés par les services érotiques tarifés. Protection des mineurs oblige, l’ex-régie proposait tout de même à ses abonnés le blocage de l’accès à ces liaisons sulfureuses, sous la forme de «kits de blocage» installés à domicile.
Rien n’arrête le progrès: il est désormais possible de passer un coup de fil rose lorsqu’on est abonné à un «opérateur alternatif», que ce soit par présélection automatique ou par sélection au coup par coup, ou call by call (rappelons que Swisscom conserve le monopole de la «boucle locale», ou «dernier kilomètre» d’acheminement des communications).
Tout ou rien
Enfin, disons plus exactement qu’il était possible de le faire. Car Swisscom, en adaptant ses kits pour les rendre accessibles aux abonnés d’opérateurs alternatifs, n’a pas fait dans la dentelle: depuis quelque temps, le blocage du 0906 coupe également la sélection de l’opérateur alternatif. Les abonnés qui ont installé un kit de blocage doivent donc soit renoncer au principe du call by call et passer au système de la présélection, soit faire annuler leur blocage.
Fâché, l’opérateur Tele 2 a porté plainte, début août, auprès de la Commission de la concurrence (ComCo), dénonçant ce qu’il considère comme un «abus de monopole» de la part de Swisscom. Pour Tele 2, l’ex-régie cherche tout simplement à «reconquérir les clients qui téléphonent avec des opérateurs alternatifs». Sa duplicité ne ferait aucun doute, selon l’opérateur zurichois, et serait encore établie par le fait que Swisscom ne se prive pas de joindre des publicités aux factures envoyées aux abonnés de Tele 2, grâce, une fois encore, au monopole de la boucle locale…
Géguerre de tranchées
«Action de relations publiques bien ficelée», commente chez Swisscom Christian Neuhaus, qui précise n’avoir pas reçu officiellement la plainte. «Nous devons offrir la possibilité de bloquer certaines communications à l’ensemble de nos abonnés et il est techniquement impossible de maintenir la présélection tout en coupant l’accès au 0906», se justifie le porte-parole. La pub jointe aux factures? Réponse un brin jésuitique: «Nous considérons avoir le droit d’informer tous nos clients sur nos prestations.»
«Nous avons reçu plusieurs milliers de protestations de nos abonnés, réplique Beat Geiser, chef du marketing chez Tele2. Swisscom tente simplement de contrecarrer la libéralisation du marché. Et des publicités comparatives en notre défaveur ne constituent pas une simple information.»
Chacun campe donc sur ses positions dans cette guéguerre des tranchées.
Une bagarre dont les consommateurs, trimballés, surinformés ou désinformés, tardent à être les bénéficiaires plutôt que les victimes.
Blaise Guignard
lecteurs piégés
Un an après, Swisscom enquête toujours...
Nous le disions dans notre édition d’août 2000: les numéros de téléphone commençant par 0906 ne sont pas tous aussi roses que l’on croit. Il en est qui proposent des rencontres tout à fait honorables, mêmes si elles sont noyées dans un lot de suggestions autrement plus salaces. Nous racontions alors comment deux lecteurs s’étaient retrouvés avec des factures de téléphone dépassant 100 000 francs, pour avoir cru à de vaines rencontres avec l’âme sœur. Dans les deux cas, les procédés scandaleux utilisés par les exploitants du Telekiosk étaient contraires au règlement imposé par Swisscom, lequel avait promis d’ouvrir une enquête.
Quatre mois plus tard (en décembre 2000), nous devions constaté que presque rien n’avait bougé. Passe pour le cas d’Antoine (*), puisque l’affaire était devant les tribunaux. Entre-temps, un arrangement a été trouvé, l’exploitant du 0906 concerné renonçant à plusieurs dizaines de milliers de francs, ce qui tend bien à démontrer qu’il n’avait guère la conscience tranquille!
Au point mort
Mais dans le cas d’André (*), Swisscom avait accepté de rétablir sa ligne, tout en supprimant logiquement la possibilité d’atteindre le 0906 (lire article ci-dessus), mais rien de plus. Thomas Marthaler, avocat au service juridique de Swisscom, avait alors renouvelé l’engagement d’enquêter sur l’exploitant qui avait régulièrement fait attendre notre lecteur pendant 55 minutes avant de lui passer l’âme sœur.
Un an plus tard, l’affaire n’a pas avancé d’un pouce. Thomas Marthaler, franchement gêné et qui n’est d’ailleurs plus en charge du dossier, invoque la partie de ping-pong entre les différents services de Swisscom pour expliquer le statu quo. Le service financier envisage toujours, sans s’être vraiment décidé, un chargeback, à savoir l’annulation de la dette d’André, que l’opérateur facturera alors à l’exploitant incriminé. En tel cas, ce sera tant mieux pour notre lecteur, mais tant pis pour les autres personnes qui se laisseront prendre au piège... On est loin des propos musclés tenus il y a un an, lorsque Swisscom nous déclarait: «Si les faits que vous nous rapportez sont exacts, nous couperons immédiatement ces lignes!»
C. C.
(*) Prénoms fictifs.