Le rapport publié en 2015 par l’Organisation mondiale de la santé (OMS ) est aussi limpide qu’inquiétant: la consommation de 50 g de charcuterie par jour augmente de 18% le risque de développer un cancer du côlon. Ni le sel ni les graisses ne sont pointés du doigt, mais bien les nitrites et les nitrates rajoutés en cours de fabrication. De quoi inciter l’OMS à classer la charcuterie parmi les produits cancérogènes pour l’être humain, au même titre que la cigarette ou l’amiante.
Ces additifs, les E249, E250, E251 et E252 (salpêtre), ne sont pas directement cancérogènes. Ce sont des composés chimiques naturellement présents partout dans notre environnement. Mais c’est au contact des protéines de la viande qu’apparaissent les nitrosamines qui peuvent provoquer des lésions à l’ADN des cellules du côlon. Par ailleurs, le nitrite active aussi le pouvoir cancérogène du fer contenu dans la viande rouge, soit toutes les viandes hormis la volaille. En France, 25% des cancers du côlon sont dus à une consommation excessive de charcuterie et de viande rouge (au-delà de 500 g par semaine). Et rappelons que, en Suisse, c’est le deuxième cancer le plus fréquent avec quelque 1700 décès par an.
Profits contre santé
Les industriels justifient l’usage du nitrite comme conservateur pour lutter contre le botulisme, une maladie rare, mais potentiellement mortelle. Pourtant, depuis une dizaine d’années, les fabricants danois et hollandais qui sont revenus aux recettes traditionnelles sans sel nitrité n’ont pas eu à déplorer d’intoxications. Idem en Italie où le Consortium du jambon de Parme se passe de ces additifs depuis 1993. Les cas de botulisme recensés sont surtout dus à des conserves défectueuses, au manque d’hygiène et à diverses préparations maison ou artisanales mal maîtrisées (légumes, poisson, charcuterie).
En réalité, ce sont les profits qui sont en jeu et non la santé publique. Ces additifs permettent effectivement de réduire les coûts de production en diminuant la durée de fabrication de la viande. Pour un jambon de Bayonne, trois mois suffisent au lieu de neuf sans nitrite. Autre argument essentiel: sans ces additifs, le jambon, grisâtre, est moins appétissant.
Des changements, en France seulement
Il y a deux ans, l’émission Cash Investigation (France 2) démontrait comment le lobby de la viande, en Europe et aux USA, manipulait les enquêtes, payaient des «chercheurs» pour de fausses études, afin de créer le doute et de bloquer toute réglementation en leur défaveur. A cela se sont ajoutées les recommandations de l’Agence française de sécurité sanitaire de l’alimentation pour limiter la consommation de charcuterie à 25 g en moyenne par jour, soit une demi-tranche de jambon! Les ventes, déjà en baisse, se sont encore affaiblies.
La réaction ne s’est pas fait attendre. En 2017, Herta (Nestlé) et Fleury Michon proposent en France du jambon sans sel nitrité, sur lequel ils travaillaient depuis cinq à six ans déjà... Fleury Michon a remplacé le nitrite chimique par du «naturel» issu de jus de légumes (blette, betterave, etc.). Mais leur innocuité n’a pas été démontrée. En revanche, la recette de Herta est vierge de tout nitrite. Dans la foulée, la chaîne Biocoop propose aussi un produit sans nitrite du tout, bio de surcroît.
Recommandations
⇨ Pour l’instant, trouver du jambon blanc sans nitrite en Suisse, relève de l’exploit. L’une des exceptions industrielles, Le Prestige de Del Maître Essentiel (Migros), format croque-monsieur, sans couenne, mais avec du nitrite de légumes…
⇨ Pour du jambon cru, viser le haut de gamme (Parme ou Pata Negra, par exemple); vérifier dans les ingrédients qu’il n’est constitué que de viande de porc et de sel.
⇨ Fabriqués avec du sel nitrité, salamis, saucisses, viande séchée, lardons, mortadelle et consorts sont à consommer avec modération. Dans l’idéal, pas plus de 25 g par jour ou 70 g par
semaine…
⇨ Pour contrer l’effet délétère des nitrites, associer charcuterie et légumes, avec une salade mêlée arrosée d’huile de colza ou de noix. Ces aliments sont riches en antioxydants: bêtacarotènes, vitamines E ou C (acide ascorbique).
Doris Favre, diététicienne diplômée