La scène s’est passée dans le laboratoire cantonal de Zurich. Le chimiste Konrad Grob s’est vu refuser par ses hôtes – des hauts fonctionnaires venus tout spécialement du Bangladesh – le chocolat suisse qu’il leur proposait. Il est vrai que sur chaque carré, il avait au préalable versé une goutte de batching-oil! Le batching-oil est un mélange d’eau et d’huile utilisé pour adoucir les fibres végétales avec lesquelles ils fileront le jute. Or, c’est dans ces sacs de jute que le cacao est importé en Suisse. Et comme Konrad Grob est l’auteur d’une étude démontrant que les aliments ainsi transportés peuvent être contaminés par l’huile contenue dans le batching-oil, les fonctionnaires venaient en délégation pour minimiser les faits. La démonstration fut concluante!
En 1988 déjà, des chimistes suisses découvraient des noisettes polluées par de l’huile minérale. Des recherches ont prouvé, par la suite, qu’elle provenait des sacs de jute dans lesquels les noisettes avaient été importées. Selon l’étude menée en 1993 par Konrad Grob, un sac contient, avant d’être utilisé, environ 7% d’huile minérale, ce qui représente 50 à 75 grammes d’huile. Durant l’emploi, une trentaine de grammes s’évapore. Mais une partie du solde se dépose sur le produit transporté dans ces sacs.
L’Office fédéral pour la santé publique (OFSP) a réagi rapidement. Et en 1992 déjà, en collaboration avec les producteurs et les importateurs de noisettes, un subs-
titut au batching-oil a été trouvé. Les autorités ont aussi fixé, en 1995, un taux de tolérance référentiel: 10 milligrammes d’hydrocarbure d’huile minérale pour un kilo de fruits à coque dure, telles les noisettes. Une marchandise dépassant ce taux peut être considérée comme dévaluée et son propriétaire sera prié d’entreprendre des mesures d’assainissement. Et si le taux est trois fois plus élevé que la valeur référentielle, le produit devra être retiré du marché.
Mais le café et le cacao sont aussi importés dans des sacs de jute. Et comme le chocolat est quand même notre fierté nationale, Bon à Savoir a voulu savoir quel était le taux exact d’huile minérale contenu dans les différents produits suisses à base de cacao. Il a donc demandé au laboratoire de Saint-Gall d’analyser divers chocolats, poudres de cacao ou autres boissons pour le petit-déjeuner.
Les résultats sont effarants (lire ci-dessous): «Dans tous les échantillons, résume Christian Droz, responsable du département chargé de l’analyse, nous avons trouvé de l’hydrocarbure provenant du batching-oil. Si l’on se réfère au taux de tolérance fixé pour les noisettes, seuls cinq échantillons passent la barre. Mais plus de la moitié (13 sur 23) des produits testés doit être considérée comme une marchandise dévaluée et cinq autres devraient carrément être retirés du marché!
Chemins complexes
Le problème n’échappe certes pas aux fabricants de produits à base de cacao. Mais si les industries de transformation ont trouvé une solution pour les noisettes en réglant le problème à la source, c’est-à-dire directement auprès des producteurs, la chose semble nettement plus compliquée pour le cacao. Les chemins d’importation sont en effet très compliqués et peuvent varier d’une livraison à l’autre. Les industries de transformation du cacao, en collaboration avec l’OFSP, poursuivent cependant leur travail. Et selon Claudia Sedioli, de l’OFSP, il est même «question d’établir un taux de tolérance».
Question santé
Est-ce dangereux?
Le batching-oil est un mélange de différentes huiles minérales extraites d’un distillat de pétrole ressemblant à une huile de moteur. Ces huiles ne sont pas purifiées et ne devraient donc pas être en contact avec des aliments. Elles contiennent, en outre, des hydrocarbures polyaromatiques, qu’on soupçonne de pouvoir provoquer le cancer.
Mais le débat sur l’importance de sa nocivité reste ouvert. L’Office fédéral de la santé publique estime, par exemple, que ces formes de résidus ne représentent pas une menace pour la santé des consommateurs. Il admet cependant qu’une telle contamination est en contradiction avec l’ordonnance sur les denrées alimentaires, qui stipule qu’aucun composant étranger ne devrait être détecté dans les aliments, ou alors seulement en toute petite quantité.
Résultats de notre test
Quatre produits testés sur cinq vont au-delà des normes!
C’est la boisson Ovomaltine qui sort en tête de notre test: elle ne contient que 2 mg d’hydrocarbure par kilo. La poudre de cacao Rapunzel (8 mg/kg), le bâton de chocolat Ragusa (9 mg/kg), la poudre de cacao Van Houten (10 mg/kg) et le chocolat aux noisettes entières de Ritter Sport (10 mg/kg) peuvent également être distribués sans souci. Christian Droz, responsable du département qui a procédé aux analyses dans le laboratoire de Saint-Gall, estime que les faibles quantités repérées s’expliquent par le fait que ces produits contiennent peu de chocolat ou que la cacao utilisé a une teneur en graisse insignifiante.
Mais à l’autre bout du peloton, le chocolat au lait Mascao Max Havelaar, de l’organisation de développement OS3, contient jusqu’à 52 mg/kg. Certes, environ 80% de ces hydrocarbures sont probablement d’origine naturelle, relativise Christian Droz. Il n’en demeure pas moins que selon Konrad Grob, du laboratoire cantonal de Zurich, une telle quantité d’huile minérale ne peut tout simplement pas être tolérée.
En prenant connaissance des résultats de notre test, Markus Wittmer, responsable de la maintenance de la qualité chez OS3, a assuré que, même si l’échantillon analysé pourrait être un cas unique, des mesures vont être prises pour garantir un taux très bas d’hydrocarbure, inférieur au taux référentiel de 10 mg/kg. Pour y parvenir, le cacao sera désormais testé avant son importation.
Avec une teneur de 43 mg/kg, le chocolat au lait de la Migros M-Budget ne s’en sort guère mieux. Le premier distributeur alimentaire de Suisse souligne cependant que le taux d’hydrocarbure peut fort bien différer d’une fois à l’autre dans un même produit, car ses fabricants sont forcés d’utiliser des matières premières stockées plus ou moins longuement. Le chimiste Konrad Grob estime cependant, dans une étude datant de 1993, que la teneur en huile minérale ne dépend pas de la durée de stockage dans les sacs de jute. Le taux d’huile minérale ne serait en effet pas plus élevé dans des graines stockées depuis quatre ans que dans les graines fraîchement cueillies.
Trois autres produits devraient aussi être retirés de la vente si l’on se réfère au taux maximal retenu pour les noisettes: Sprüngli Number One de la Confiserie Sprüngli, Lindt extra-fin noir de Lindt et Sprüngli, ainsi que le chocolat au lait Swiss Army de Favarger.
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