Le Conseil fédéral a décidé d’interdire le triclosan (lire encadré) dans les vêtements. Cette substance chimique sera également prohibée dans les désodorisants et son taux sera abaissé de 0,3% à 0,2% dans de nombreux cosmétiques et produits d’hygiène. Cette décision, présentée le 17 mars dernier comme une réelle avancée dans la lutte contre les méfaits de ce biocide sur l’environnement et l’humain, est en réalité une simple adaptation à la législation européenne. Pourtant, Alain Berset, conseiller fédéral en charge de la Santé, a fait sienne cette décision et se réjouit de la fin du triclosan dans les textiles: «Cela devrait très fortement réduire son utilisation, et donc l’exposition des personnes et de l’environnement.»
En la matière, toute limitation est positive. Mais se contenter des textiles n’apportera que peu de changements en termes d’exposition. En effet, sur l’ensemble des quantités utilisées sur le continent, ce sont 85% qui entrent dans la composition des produits de soins (hygiène et cosmétiques), 10% dans les plastiques et les matériaux en contact avec les aliments et 5% dans les textiles. C’est du moins la conclusion d’une recherche menée dans l’Union européenne par le Comité scientifique sur la sécurité des consommateurs (Sccs) en 2006 déjà. Depuis, la situation a évolué: le triclosan n’est plus utilisé dans les plastiques en contact avec l’alimentation et les géants de la cosmétique se tournent volontairement vers des solutions de remplacement.
Pas d’interdiction généralisée
Reste que ne plus trouver de chaussettes de sport ou de T-shirt traités avec du triclosan n’empêchera pas les contacts quotidiens, puisque la substance reste autorisée dans les shampoings, crèmes pour le visage, détergents ménagers, fonds de teint, etc. Alain Berset s’est exprimé sur ce point devant les membres du Conseil national le 17 mars dernier: «Quelle serait la conséquence d’une interdiction dans ces produits en Suisse seulement? Cela aurait quelques inconvénients de compatibilité avec les pays qui nous entourent.» Pourtant, aux Etats-Unis, l’Etat du Minnesota a pris, tout seul, la décision d’interdire cette substance sur son territoire en juin 2014. Depuis, l’Etat de New York a annoncé étudier sérieusement la question. La Suisse aurait pu faire figure de pionnier, mais a privilégié la voie de la compatibilité avec ses voisins européens.
Menace sous-estimée
Luc Recordon, conseiller national et auteur d’une interpellation sur la question en décembre 2014, se déclare satisfait de l’interdiction du triclosan dans les vêtements, mais ajoute n’être «guère convaincu de la solution, avec valeur limite, même abaissée, retenue pour les cosmétiques». Et pour cause, puisque le seul moyen pour ne plus le détecter dans le lait maternel, le sang ombilical, le sang et l’urine, c’est de l’interdire totalement, et pas juste d’en limiter les doses. De nombreuses études ont révélé des incidences de ce biocide sur la santé humaine et animale. Il est, en effet, fortement soupçonné d’agir comme un perturbateur endocrinien, de provoquer le cancer du sein, d’endommager les muscles, le foie et les cellules reproductrices.
Mais un danger bien plus grand encore plane sur sa tête: l’utilisation massive de triclosan depuis le début des années 1990 dans les articles de consommation courante favoriserait la résistance des bactéries aux antibiotiques. La résistance croisée à ce biocide et aux antibiotiques a été prouvée en laboratoire. Quand on l’observera dans l’environnement, il sera trop tard. Il y a donc urgence à le bannir.
Annick Chevillot
Bonus web: mieux comprendre le triclosan
Décodage
Le triclosan, c’est…
Il s’agit d’un biocide dont le nom complet est 5-chloro-2-(2,4-dichlorophénoxy)phénol, soit un pesticide organochloré, même s’il n’en porte pas le nom. Il est massivement utilisé pour ses propriétés antifongiques (il prévient l’apparition de moisissures et de champignons) et antibactériennes à large spectre.
Comme il est commercialisé sous de très nombreux noms différents, il est très difficile, pour le consommateur, de savoir si un article en contient ou non. L’Association Médecins en faveur de l’environnement en dresse une petite liste sur son site internet www.aefu.ch et invite également à signer sa pétition en vue d’une interdiction totale.