Les consommateurs se préoccupent de plus en plus de leur impact environnemental. Selon un sondage de l’Eurobaromètre, 77% des citoyens de l’Union européenne préféreraient réparer leurs appareils plutôt que les remplacer. En Suisse pourtant, l’opération risque fortement d’être vouée à l’échec, du moins pour le petit électroménager. Notre enquête, réalisée avec l’émission On en parle (RTS – La Première), montre en effet que, la plupart du temps, les fabricants ne disposent pas de pièces de rechange pour ces objets.
Afin d’évaluer la situation, nous avons demandé à l’atelier de réparation La Bonne Combine, à Lausanne, de nous présenter quinze dispositifs électroménagers de marques différentes qui ne fonctionnaient plus, et de nous indiquer l’origine de la panne. Un enquêteur a écrit un courriel aux marques pour leur demander la pièce défaillante, précisant qu’il était bricoleur et souhaitait procéder lui-même à la réparation. Les objets n’étaient plus, à une exception près, sous garantie.
Et… 80% de requêtes infructueuses
Les résultats sont très décevants: trois demandes seulement sur quinze (20%) ont été couronnées de succès. Nous avons ainsi pu commander, et recevoir un fusible de température pour un réchaud Rotel (16.50 fr., mais offert, car encore sous garantie), un système électronique de remplacement pour un humidificateur Stadler Form (29 fr., livraison incluse) et même un moteur entier pour un mixer Bamix (95 fr., livraison incluse). Cette marque nous a toutefois demandé de confirmer, avant envoi, que nous le remplacerions sous notre propre responsabilité. Elle recommande de lui confier ce genre de réparation.
Notre démarche a été infructueuse pour les douze autres produits (80%). Dans huit cas, le fabricant ou le distributeur officiel nous a écrit que la pièce demandée n’était pas disponible. Nous n’avons donc malheureusement pas pu remettre en état de marche une machine à thé Solis, une bouilloire Emerio, un toaster Kitchen Aid, un mixer Miostar, un blender Turmix, une bouilloire Satrap, un toaster Kenwood et un aspirateur Dyson. On relèvera que, pour ce dernier, dont la batterie était défaillante, la marque nous a suggéré de nous tourner vers les sites de fournisseurs de pièces détachées «qui pourraient avoir du stock» en nous indiquant deux adresses suisses.
Kenwood, de son côté, a profité de notre courriel pour nous proposer «d’échanger le toaster contre un nouveau avec une réduction de 40% sur le prix catalogue». Une pratique mercantile qui serait assez fréquente, selon Dragan Ivanovic, de La Bonne Combine et que les lecteurs de Bon à Savoir nous signalent régulièrement… en précisant souvent qu’ils ont vu, ailleurs, une offre plus avantageuse que celle du fabricant, rabais compris!
Plus d’un quartn’ont pas répondu
Enfin, nous n’avons tout simplement pas reçu de réponse pour les quatre appareils restants: un mixer WMF, une bouilloire ViceVersa, une bouilloire Tefal et un mixer Grundig. Lors de nos interpellations ultérieures aux fabricants, cette fois au nom de Bon à Savoir, WMF nous a écrit «soupçonner que la demande s’est perdue en cours de traitement», tout en soulignant que ses mixers sont toujours remplacés en entier. Pour la bouilloire Tefal, la société Rapido Service, mandatée pour la Suisse, affirme «n’avoir malheureusement pas vu le courriel» de notre bricoleur, mais précise que l’interrupteur demandé n’était pas disponible.
Pour ViceVersa, nous n’avions trouvé, non sans peine, qu’une adresse web générale italienne, qui n’a jamais répondu. Quant à Grundig, les liens du formulaire en ligne suisse étaient hors service et notre mail à grundig.ch nous est revenu avec un message d’erreur. Nous avons fini par écrire à l’adresse française qui n’a jamais donné suite. Le simple fait de prendre contact par courriel avec le Service après-vente d’un fabricant électroménager n’est donc pas toujours simple.
La situation diffère toutefois considérablement d’une marque à l’autre. Certaines d’entre elles indiquent, sur leur site, un support mail, un contact téléphonique, voire un chat ou une page de pièces détachées disponibles.
Il faut souligner que les services qui nous ont répondu, positivement ou négativement, l’ont fait avec une grande rapidité: leurs mails nous sont tous parvenus dans les 24 heures suivant notre demande, dont deux dans l’heure! A défaut d’obtenir la pièce demandée, nous avons au moins été fixés rapidement…
Une question de coût
Il serait faux de penser que les réponses négatives envoyées à notre bricoleur résultent de son statut de particulier. Les professionnels de La Bonne Combine ont, eux aussi, beaucoup de peine à obtenir des pièces détachées auprès des fabricants pour le petit électroménager. L’entreprise lausannoise s’approvisionne parfois auprès de sites tiers. Cette démarche n’est pas sans risques: «On peut essayer de passer commande ailleurs, mais internet est une jungle, constate Dragan Ivanovic. Il faut chercher, prendre du temps, persévérer. On trouve tout et n’importe quoi et on n’est jamais sûr qu’on arrivera à installer la pièce et qu’elle fonctionnera.» Et c’est compter sans les risques en matière de sécurité… Parfois, la Bonne Combine dispose de plusieurs modèles identiques et peut prélever une pièce sur l’un pour réparer l’autre…
Logique économique ou obsolescence programmée?
Mais pourquoi les marques proposent-elles si peu de pièces de rechange? Selon Dragan Ivanovic, le coût est un facteur essentiel pour le petit électroménager. Lorsqu’un produit bon marché tombe en panne sous garantie, il revient moins cher au fabricant/distributeur d’en offrir un neuf au client plutôt que d’envoyer le modèle en réparation, à cause du prix du transport, de la main-d’œuvre et de l’entreposage des éléments de rechange.
Et, lorsque la garantie est échue, beaucoup de consommateurs seront découragés par le prix d’une éventuelle réparation. En 2018, dans sa réponse à un postulat sur la disponibilité des pièces de rechange, le Conseil fédéral relevait que, «en Suisse, il est souvent inintéressant de payer une réparation, car le coût de la main-d’œuvre et le prix des pièces de rechange sont relativement élevés par rapport au coût du neuf, en particulier pour les produits bon marché». Un argument que le gouvernement met en avant pour justifier son opposition à une obligation générale de stocker des pièces de rechange pour l’ensemble des appareils électriques et électroniques pendant cinq ou dix ans. «Une telle disposition, estime l’exécutif fédéral, ne saurait, à elle seule, garantir que tous les produits seront réparés, et donc utilisés plus longtemps.»
On peut se demander dans quelle mesure les marques ne provoquent pas sciemment la pénurie d’éléments de rechange pour maximiser leurs ventes de produits neufs. Dans son rapport Optimisation de la durée de vie et d’utilisation des produits (2014), le Conseil fédéral ne classait-il pas, lui-même, «l’absence de pièces de rechange» comme une des caractéristiques de «l’obsolescence programmée directe»? Le même document qualifiait «d’obsolescence programmée indirecte» les coûts de réparation importants, le prix élevé des pièces de rechange ainsi que les difficultés à obtenir ces dernières, car ce sont «des mesures de gestion conduisant à ce qu’un produit deviennent obsolète prématurément et à raccourcir artificiellement sa durée d’utilisation».
Quoi qu’il en soit, l’Union européenne semble désormais décidée à agir, du moins pour les appareils d’une certaine valeur (lire encadré). En Suisse, un sondage des organisations de consommateurs a révélé que 98% des personnes interrogées se disent favorables à la mise en place d’un indice de réparabilité, tel qu’il vient d’être introduit en France pour certains objets. Malgré cela, le Conseil fédéral a proposé récemment de rejeter une motion de la conseillère nationale Sophie Michaud Gigon (Verts/VD) allant dans ce sens.
Sébastien Sautebin
Les choses bougent en Europe
En novembre 2020, le Parlement européen a voté en faveur d’un «droit à la réparation», afin de rendre les remises en état plus attrayantes, systématiques et peu coûteuses. Depuis le 1er mars, de nouvelles règles sont entrées en vigueur dans l’UE pour certains produits. Entre autres: les pièces détachées doivent être disponibles pendant sept ans au minimum après l’achat pour les appareils de réfrigération (congélateurs, réfrigérateurs, caves à vin, etc.) et pendant dix ans pour les lave-linge, sèche-linge et lave-vaisselle. Les fabricants ont l’obligation de fournir, sur internet, des listes des pièces disponibles et d’assurer leur livraison dans les quinze jours. Les réparations doivent pouvoir être effectuées avec des outils classiques.
Le 1er janvier 2021, la France a été le premier pays européen à introduire un indice de réparabilité pour certains objets, dont les lave-linge à hublot, les smartphones, les ordinateurs portables et les téléviseurs. Il consiste en une note sur 10, accompagnée d’un code couleur. Ce système indique aux consommateurs le caractère réparable, ou non, d’un produit, au moment de l’achat. La note prend notamment en compte la durée de disponibilité et le prix des pièces détachées ainsi que la facilité de démontage.