Comme beaucoup de petits propriétaires, Jean*, un lecteur vaudois, songeait depuis plusieurs mois à installer une pompe à chaleur. Après une mésaventure qui a failli lui coûter des dizaines de milliers de francs, il a tenu à alerter Bon à Savoir.
Le vendeur qui a tenté de lui extirper un contrat auprès d’une entreprise fantôme écume la Suisse romande depuis des années. Aucune autorité ne semble en mesure de faire cesser les pratiques douteuses dans son sillage.
Le secteur des pompes à chaleur (abrégées «PAC») est source d’innombrables déconvenues, avec des pertes financières qui donnent le tournis: les versements d’acomptes de l’ordre de 15 000 fr. sont une formalité pour les entreprises. Et représentent un risque énorme pour les particuliers.
Les subventions servent d’appât
Les PAC ont le vent en poupe, en Suisse, dopées par la transition énergétique et les nouvelles législations qui favorisent ce mode de chauffage. L’an dernier, il s’en est vendu 43 500 modèles dans le pays, deux fois plus qu’il y a dix ans. Succès phénoménal, pour une installation qui peut coûter 60 000 fr. Cela s’explique notamment par les incitations et subventions publiques accordées en la matière (jusqu’à 10 000 fr. par appareil). Ces aides sont brandies en gage de sérieux du secteur et servent, parfois, à endormir la vigilance des clients ou à les presser pour passer à la caisse.
«Pour valider la commande, j’ai dû immédiatement payer 31 000 fr., soit la moitié du coût total de l’installation, témoigne une lectrice. Le vendeur m’a dit que les subventions accordées par le canton seraient bientôt épuisées et qu’il fallait agir vite.» Notre abonnée n’a jamais touché aucune subvention: le certificat énergétique (CECB) de sa maison ne permettait pas d’y prétendre.
Attention: savoir que les subventions varient selon le canton, la commune, le système de chauffage déjà installé et, parfois, selon la domiciliation de l’entreprise mandatée.
Conseil: tenter une négociation des acomptes (par exemple: 30% à la commande, plutôt que 50% du montant). L’entreprise peut refuser au nom de la liberté contractuelle.
Quand l’installateur ne répond plus
Hélas, les cas d’entreprises malhonnêtes sont récurrents. «Les défauts d’installation sont courants parmi les arnaques à la pompe à chaleur. Ils sont souvent le fait d’entreprises qui engagent des installateurs mal formés ou incompétents, payés au rendement. Ils procèdent à des installations à la chaîne et commettent des erreurs», admet une entreprise de la branche sur son site web. Le Groupement professionnel suisse pour les pompes à chaleur regrette ces pratiques et conseille de confier les travaux à des entreprises listées sur son site (lire encadré).
Bon à Savoir recense une cinquantaine de cas: entreprises qui ne répondent plus du jour au lendemain, chantiers qui s’éternisent, devis qui explosent.
Parfois, il s’agit tout bonnement de tentative d’escroquerie. C’est ce qui est arrivé à notre lecteur, Jean. Un vendeur lui a rendu visite, à domicile. Et déclare travailler pour «l’entreprise ENR Groupe». Son offre: commande, livraison et installation d’une PAC pour 34 000 fr., tout compris. Et acompte de 17 000 fr. à la commande.
«Dans ma vie professionnelle, j’ai appris à me méfier lorsque de grandes sommes d’argent sont en jeu», déclare Jean. L’âme d’enquêteur de ce retraité lui permet de découvrir que le vendeur, A.G.*, a donné une fausse identité et que l’entreprise s’avère bidon!
L’affaire ne s’arrête pas là: la semaine suivante, nouveau téléphone, d’un autre vendeur. Le devis d’A.G. est mentionné et, très vite, ce concurrent empresse notre lecteur de «signer les yeux fermés» la première offre, jugée «extraordinaire». Jean n’est pas dupe: il a affaire à un complice d’A.G. Inquiet de voir cet individu faire du porte-à-porte, il alerte les autorités. Sans succès: la police vaudoise avoue son impuissance (lire encadré).
Un hiver sans eau chaude ni chauffage
D’autres personnes sont tombées dans les filets de ce vendeur, qui agit parfois en famille et dont Bon à Savoir a suivi la trace jusque dans l’enclave italienne de Campione, au Tessin. Notre rédaction a contacté trois familles victimes des ventes d’A.G. ou de son frère.
Un père de famille genevois décrit l’enfer d’un hiver sans eau chaude ni chauffage, après avoir payé 14 500 fr. d’acomptes: «Nous faisions bouillir de l’eau dans une grande casserole pour les douches de nos enfants.» L’entreprise chargée des travaux ne répond plus et la famille lésée n’a plus d’autre recours qu’un dépôt de plainte auprès du Ministère public, afin d’obtenir réparation.
En 2021, déjà, l’émission A Bon Entendeur révélait une affaire qui concernait A.G.. Une famille, mise en danger par la société dont il était directeur, avait porté plainte pour travaux illégaux: la pompe à chaleur, mal installée, présentait une menace d’électrocution. A sa décharge, l’homme souligne qu’il a été acquitté par le tribunal régional du littoral et du Val-de-Travers en 2020.
A.G. se présente sous divers pseudonymes (Bon à Savoir a dénombré quatre identités). Il déclare qu’il s’agit d’une stratégie de défense, car le reportage de la RTS lui aurait porté préjudice.
Depuis, il continue de passer des contrats en tant qu’intermédiaire pour le compte de diverses entreprises dont lui-même déclare qu’elles ont parfois des pratiques douteuses.
Une entreprise à éviter
A.G. rejette catégoriquement la faute sur les sociétés avec lesquelles il travaille ou a travaillé, l’entreprise IAS Engineering en particulier. Il affirme tout faire pour réparer les dégâts et ne rien avoir touché des acomptes évaporés dans la nature.
Bon à Savoir a consulté l’une des six plaintes contre inconnu, récemment déposées auprès du Ministère public de Genève. Quatre autres sont en préparation et toutes pointent la société IAS. Les familles plaignantes espèrent que leur union permettra à la justice d’arrêter, enfin, les installateurs dénués de scrupules, qui sévissent depuis des années.
Nos tentatives pour contacter IAS Engineering sont demeurées vaines: le numéro de téléphone et l’adresse e-mail affichés sur le site internet ne sont plus valables et aucun des responsables de la société n’a répondu à nos messages et appels.
Prévenir plutôt que guérir
Notre enquête démontre que le domaine manque de régulation. Les consommateurs se trouvent démunis, dans une jungle d’entreprises et artisans dont il est difficile de juger de la qualité avant que le mal ne soit fait.
Notre conseil: Rester prudent devant un devis, toujours prendre un délai de réflexion, demander plusieurs offres et expertises avant de signer.
*Noms connus de la rédaction
Amélie Fasel / Laura Drompt
L’histoire se répète, la police est démunie
Notre lecteur victime de tentative d’arnaque a alerté plusieurs postes de police. Peine perdue, celle-ci se dit impuissante: il n’a pas été effectivement volé, n’ayant pas versé les 17 000 fr. d’acomptes.
La police cantonale vaudoise a confirmé à Bon à Savoir qu’il est déjà difficile de retrouver les personnes qui ont réussi à soustraire de l’argent. «Alors, dans les cas de tentatives inabouties, c’est encore plus compliqué.» L’autorité conseille tout de même de porter plainte auprès d’une police régionale si de l’argent a été volé.
Vos droits:
Selon la loi suisse, notre lecteur avait le droit de déposer plainte pénale pour tentative d’escroquerie. La démarche est gratuite, mais des frais d’avocats peuvent s’ensuivre.
Bon à Savoir encourage à déposer un signalement sur la plateforme plaintes.ch, afin d’identifier les entreprises peu scrupuleuses pour de futurs clients.
Des sources fiables
- Le Groupement professionnel suisse pour les pompes à chaleur (GSP) liste les entreprises fiables sur: fws.ch
- Le site francsenergie.ch permet de savoir si vous pourrez bénéficier de subventions. Vérifiez par vous-même ce à quoi vous avez droit avant d’engager de grandes sommes d’argent, même si certains vendeurs tentent de vous décourager au prétexte que la démarche est complexe.
- Le label EHPA liste des pompes à chaleur certifiées sur: ql.ehpa.org/fr/
- La mention PAC Système-Module est une certification suisse de qualité. Attention:Bon à Savoir a observé que certaines pages web affichent le logo «PAC Système-Module» sans y avoir droit. Vérifiez si l’entreprise est bien légitime sur fws.ch