Terrine de sanglier, médaillons de cerf ou selle de chevreuil: comme à l’accoutumée, la saison de la chasse a fait son lot de bienheureux. Il faut dire que les Helvètes sont de fervents amateurs de gibier: ils en consomment en moyenne près de 5000 tonnes par année.
Si les médaillons ou la selle sont reconnaissables même pour un néophyte, l’affaire se corse en revanche devant une assiette de civet. Comment savoir, en effet, si les morceaux marinés et noyés sous une sauce correspondent bien à ce qui est indiqué ou s’ils ont, au contraire, été «bidouillés»? Impossible de le savoir avec certitude, à moins de procéder à une analyse ADN.
Pour en avoir le cœur net, nous avons soumis les restaurateurs et les barquettes des supermarchés à l’épreuve du civet de chevreuil. Avec nos confrères de l’émission On en parle (RTS La Première), nous nous sommes donc rendus incognito dans une vingtaine d’établissements romands, tirés au sort dans les pages de publicité «chasse» des quotidiens de chaque canton. Les barquettes ont, de leur côté, été achetées à Migros, Coop et Manor. Dans chaque cas, nous avons prélevé trois morceaux. Qui ont, ensuite, été transmis au Laboratoire cantonal vaudois qui les a analysés (lire encadré).
Un civet non conforme
Verdict? Les restaurateurs et les supermarchés jouent globalement le jeu. Dans un cas seulement, le civet analysé était du cerf. C’est mieux que lors de notre précédente enquête en 2004. Sur douze plats analysés, ce constat s’appliquait en effet à deux échantillons.
Confronté au résultat sans appel du laboratoire, le patron du Restaurant de l’Union à Fontainemelon (NE), où l’échantillon non conforme a été prélevé, s’explique: «Au début d’octobre, nous avons eu un problème de livraison. Nous avions commandé du civet de chevreuil chez un de nos fournisseurs. Celui-ci s’est trompé et nous a livré du civet de cerf. Nous avons donc renvoyé la marchandise et passé commande auprès d’un autre fournisseur. Durant ce laps de temps, comme il restait du civet de cerf que nous avions au menu du jour, nous avons décidé de le proposer en indiquant le changement oralement à nos clients. Dans ce cas précis, cela a toutefois dû nous échapper. C’est un malheureux concours de circonstances, pour lequel nous nous excusons bien volontiers.»
Provenance rarement indiquée
Les établissements se sont, cependant, montrés moins zélés concernant l’indication de la provenance de la marchandise: le pays d’origine du chevreuil n’était annoncé que par quatre d’entre eux seulement. Et nos demandes de précision ont suscité quelques réponses farfelues. Ainsi, le serveur d’un restaurant biennois nous a, dans un premier temps, indiqué que la viande venait «d’ici». Renseignements pris, le «ici» s’est, en fait, révélé être l’Autriche ou l’Estonie, selon les arrivages!
En principe, la provenance doit figurer sur la carte des menus ou, du moins, être bien visible de la clientèle. Toutefois, pour la viande de chasse, cette obligation ne s’applique qu’aux animaux d’élevage. Elle ne concerne donc pas les animaux vivant à l’état sauvage, soit le gibier. A moins d’être chimiste cantonal et d’avoir ses entrées dans les cuisines, impossible, par conséquent, d’affirmer si un restaurant est en infraction ou non.
Importations massives
Seule certitude, la viande servie provient très rarement de Suisse. Et pour cause! La production indigène ne suffit à couvrir qu’environ 20% de la demande seulement! Et la moitié environ termine dans l’assiette des chasseurs ou de leurs proches. Bref, on l’aura compris: pour consommer local, mieux vaut être soi-même un des 30 000 disciples de Saint-Hubert recensés en Suisse ou compter parmi les amis de l’un d’entre eux!
On a également tout loisir de tenter sa chance auprès de sa boucherie. Certaines échoppent reçoivent de temps en temps de la viande locale. On peut encore se rendre dans les restaurants situés dans les régions de chasse comme le Valais, les Grisons et le Tessin, conseille Marco Giacometti, secrétaire général de Chasse Suisse, l’association faîtière des chasseurs. Mais les adresses sont rares et les places réservées à quelques privilégiés seulement!
Moins ragoûtant enfin: les animaux accidentés peuvent aussi finir parfois dans nos assiettes. S’ils ne sont pas trop endommagés par la collision et que leur viande est propre à la consommation, ils sont mis en vente. Attention néanmoins: quiconque est victime d’une collision avec du gibier doit l’annoncer immédiatement à la police ou au garde-chasse. Il est strictement interdit de l’emporter sans déclarer l’accident.
Pour sustenter les estomacs helvétiques, la Suisse importe donc 80% de la viande consommée. Mais d’où vient-elle exactement? Près de 1000 tonnes par an arrivent directement de Nouvelle-Zélande, selon les statistiques de Proviande. Les autres pays les plus prisés sont l’Autriche (842 tonnes en 2011), l’Allemagne (556) mais aussi l’Afrique du Sud, la Slovénie, la France, la République tchèque, la Hollande, la Hongrie, la Belgique et l’Italie.
Enfin, «viande de chasse» ne signifie pas nécessairement qu’elle a été capturée en milieu sauvage. Bien au contraire. Les élevages sont monnaie courante, principalement pour les cerfs et le gibier à plume, comme le faisan. Et, les chevreuils, les lièvres ou les chamois ne se prêtent guère à l’élevage.
Chantal Guyon
EN DÉTAIL
Les coulisses de l’analyse
Tous les morceaux de civet ont été analysés selon la même méthode. Celle-ci se divise en deux étapes.
> Dans un premier temps, il faut extraire l’ADN. Qui doit être, dans la mesure du possible, de bonne qualité. L’information génétique recherchée en dépend.
> La méthode utilisée ensuite est dite de PCR. Elle consiste à amplifier ou à photocopier le gène pour mieux le visualiser. L’analyse permet également de vérifier la qualité de l’ADN.
Si l’ADN retrouvé ne correspond pas à celui du chevreuil, on procède alors à une analyse supplémentaire. Celle-ci va permettre de différencier les ADN amplifiés. La méthode utilisée, cette fois, est dite de PCR-RFLP. Elle consiste à mettre en évidence les caractéristiques génétiques – également appelées «empreintes génétiques» – propres à chaque espèce animale. Pour y parvenir, les spécialistes utilisent des «ciseaux moléculaires», de façon à révéler les fragments d’ADN caractéristiques de chaque espèce. Pour déterminer quelle viande se cache derrière une empreinte génétique particulière, les experts disposent de références officielles leur permettant de déterminer précisément l’espèce à laquelle ils ont affaire.