Médecins et toxicologues l’ont maintes fois confirmé: le benzène est cancérigène. A un très haut degré. C’est pourquoi le Département américain pour les substances toxiques l’a classé à la 5e place du «hit-parade» des produits chimiques dangereux. Une sévérité qui tranche avec la législation suisse, plutôt laxiste à ce sujet.
Du coup, Bon à Savoir a voulu en savoir plus sur les vertus soi-disant écologiques des produits dits «sans plomb 95» et «superplus 98». Il a donc fait analyser 17 échantillons des benzines les plus vendues en Suisse, en fonction de leur teneur en benzène, benzène éthylique, toluène, xylol et méthyltertbutyléther (MTBE).
Des excès intolérables
Les résultats ne sont guère flatteurs pour les entreprises pétrolières. Certes, le taux de benzène est en deça des normes suisses (5%), mais la plupart des essences testées ne pourraient tout simplement pas être vendues en Finlande ou aux Etats-Unis, car elles dépassent (parfois jusqu’à trois fois!) la valeur limite de 1% de benzène, imposée dans ces pays. Seules les essences «superplus 98» d’Avia, d’OK Coop, de BP, d’Agip et d’Esso correspondent à ces normes plus sévères, celles que nous avons retenues pour établir notre classement (voir tableau). Et même si la communauté européenne, qui discute actuellement d’un taux variant entre 1 et 2%, retenait la valeur maximale, le taux de benzène de quatre produits (Avia sans plomb 95, Shell sans plomb 95, Migrol Superplus 98 et Shell Superplus 98) seraient également exclus.
Des chiffres qui laissent de marbre Bruno Ursprung, responsable du service technique chez Shell Switzerland: «Notre essence correspond aux normes suisses.» Point. Et les maisons Esso, OK Coop, Avia et Elf ne trouvent rien de mieux à dire.
Il est vrai que l’adaptation des anciennes raffineries au nouveau standard du benzène coûterait une fortune. Un porte-parole d’Aral estime que, rien qu’en Allemagne, son entreprise a dépensé 1,5 milliard de marks à cet effet. L’industrie pétrolière a donc tendance à dévier le problème sur l’industrie automobile, se référant notamment au succès du catalyseur. «Je mets beaucoup d’espoir dans les nouveaux moteurs à injection directe, argumente Bruno Ursprung. Nous ne sommes pas convaincus qu’une nouvelle composition de l’essence apporterait beaucoup à l’environnement.»
A la pompe aussi
Problème cependant: le benzène n’est pas seulement dû à la combustion. Lors du remplissage du réservoir, de grandes quantités de vapeur se dégagent. Or, même si le nouveau système de refoulement des vapeurs a permis de massivement réduire l’évaporation des gaz, BP admet qu’environ 600 tonnes d’essence s’évaporent encore chaque année des pompes suisses. Ce qui veut dire qu’avec une valeur moyenne de 2%, ce sont 12 tonnes de benzène qui partent chaque année dans l’air.
Autre simple calcul pour mieux mesurer l’ampleur des dégâts: malgré le catalyseur, une automobile évacue en moyenne 8 milligrammes de benzène par kilomètre parcouru. Avec environ 80 milliards de km par année, cela donne environ 640 000 kg de benzène rien que pour la Suisse.
Or, une étude de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) démontre que chaque microgramme de benzène par mètre cube d’air, respiré tout au long d’une vie, provoquera quatre cas de leucémie supplémentaires sur une population d’un million d’habitants. Pour l’agglomération zurichoise, où les analyses ont permis de déceler une moyenne de 18 microgrammes par mètre cube d’air (un taux à peu près similaire à celui des grandes villes suisses dont Genève et Lausanne), cela représente 70 cas de leucémie dus au benzène.
Certaines entreprises pétrolières chassent le diable par le mal... Elles remplacent en effet le benzène par un produit de la même famille: le benzène éthylique. Or, non seulement il n’est pas – lui non plus – sans danger pour la santé, mais il se transforme partiellement en benzène dans le moteur.
Toluène et xylol
Enfin, toluène et xylol sont d’autres composants critiques de la benzine. En cas d’absorption chronique, ils ont une influence néfaste sur le système nerveux central, abîment le foie et les reins et irritent les muqueuses. Pour ces produits, il n’existe pas de valeurs limites légales. Constat étonnant de notre test: la superplus contient moins de toluène que la sans plomb 95.
Le benzène éthylique et le benzène pourraient en fait être remplacés dans des proportions non négligeables. Le méthyltertbutyléther (MTBE) a déjà partiellement pris la relève. Ce produit améliore en plus la combustion dans le moteur. Il n’est cependant pas tout à fait sans danger: on le soupçonne – lui aussi – d’être cancérigène, mais dans des proportions nettement moindres que le benzène.
Explications techniques
Critères sévères
L’analyse des échantillons d’essence a été confiée au laboratoire Confarma, à Bâle. Il avait pour mission de mesurer les taux de benzène, de toluène, de xylol, de benzène éthylique et de méthyltertbutyléther (MTBE).
C’est le taux de benzène qui était déterminant. Aucune essence dont le taux était supérieur à la limite finlandaise de 1% ne pouvait obtenir la mention «bon». Et celles où le taux était supérieur au plafond de la valeur européenne en discussion (2 %) ne pouvaient être que «déconseillées».
Comme il n’existe aucune restriction légale (sauf pour le benzol), chaque composant analysé a fait l’objet d’un classement. C’est l’addition de ces critères (celui du benzène ayant compté double) qui nous a permis de donner notre appréciation globale, avec les limites décrites au paragraphe précédent.
Télécharger les tableaux comparatifs (sans plomb 95 et sans plomb 98) de tous les produits.