C’est le temps des nettoyages de printemps et la tentation est grande de libérer les étagères qui croulent sous le poids des bandes dessinées, religieusement conservées au fil des années. Avant de tout déposer à la déchetterie, il vaut la peine d’examiner sa collection de plus près: peut-être y trouverez-vous quelques perles au milieu de toutes les «drouilles» vraiment sans valeur.
Mais autant le dire tout de suite, la probabilité d’exhumer un premier tirage des «Aventures de Tintin reporter du Petit Vingtième au pays des Soviets» – coté près de 50 000 fr. – est aussi faible que de découvrir un Picasso sous une croûte peinte par belle–maman! En revanche, il n’est pas exclu de tomber sur un «Brave et honnête AT» (Achille Talon) de 1975, une bonne vieille Bécassine ou un frétillant Titeuf des débuts, cotés quelques dizaines, voire quelques centaines de francs.
Se méfier de la «bible»
La première difficulté consiste à évaluer le prix de ses BD. On peut se faire une très vague idée sur internet en consultant un site tel que www.bdtheque.com, mais, si on possède une collection conséquente et en bon état, il vaut mieux faire l’acquisition de la «bible» en la matière: l’incontournable «BDM» (86.50 fr). Ouvrage de référence, il donne la cote en cours dans les librairies spécialisées (françaises) de 100 000 albums épuisés chez l’éditeur. Les valeurs indiquées se réfèrent à des exemplaires «en bon état sans plus». Logiquement, les albums mal rafistolés ou avec un dos arraché voient leur cote dégringoler. Le nom du propriétaire inscrit pour l’éternité en troisième de couverture fera tousser certains maniaques, mais n’est pas rédhibitoire.
A l’inverse, des spécimens faisant partie de petits tirages peuvent atteindre des sommets, s’ils ont résisté aux outrages de leurs lecteurs («Non, ma puce, il ne faut pas colorier les Tintin originaux de papa en noir et blanc, mille milliards de mille sabords!»). Quant aux dédicaces, elles ne sont pas toujours appréciées, sauf pour quelques dessinateurs prestigieux comme un Franquin, par exemple.
Marché (et vendeurs) déprimés
Une fois la cote trouvée, on n’est toutefois qu’au milieu du gué. Car, les vendeurs sont presque unanimes: le marché de la BD d’occasion est déprimé, du moins en Suisse. La faute, sans doute, à la morosité économique ambiante, mais aussi au fait que la génération des «Lombard-Dargaud-Dupuis», qui a appris à lire avec Gaston Lagaffe, Astérix et Johann et Pirlouit commence à se faire vieille. Et, comme la relève lit de moins en moins, «cela fait trois ans que je n’achète plus de stock», témoigne Bernard Gignoux, bouquiniste genevois.
Résultat, pour le plus optimiste de nos interlocuteurs, patron de La Bulle, à Fribourg, 50% de la cote du «BDM», paraît un prix de rachat raisonnable. A la Librairie Belphégor, de Lausanne, on évoque plutôt un petit 30%. Et encore, à Genève, Philibert Gilliéron, patron de l’Oreille Cassée, se dit prêt à liquider son stock au quart de la cote…
En définitive, pour la plupart des albums d’auteurs populaires, postérieurs aux années 1980 et en relativement bon état, on peut espérer obtenir entre 2 fr. et 4 fr. chez un libraire ou un bouquiniste éclairé. Pour les albums plus rares, il vaut la peine de consulter plusieurs libraires spécialisés ainsi que les sites tels que ebay ou ricardo. Sinon, un bon moyen de liquider sa collection, si on a le temps, est de la vendre soi-même à l’occasion d’un vide-grenier.
Philippe Chevalier
Les perles rares et les invendables
Il sort plus de 5000 nouvelles BD par année, mais ce sont les «classiques» qui ont la faveur des collectionneurs, tant pis pour les BD d’auteurs.
Tintin: le petit reporter jouit d’un véritable culte. Les premiers tirages, aux Editions du Petit Vingtième, sont hors de prix. Plus raisonnable, une édition de 1960, par exemple du «Temple du Soleil», est cotée 60 € et peut se négocier deux à trois fois plus en bon état.
Astérix le Gaulois: les éditions originales du héros franchouillard s’arrachent à plusieurs centaines, voire milliers de francs. Jusqu’à la mort de Goscinny, car, à partir du «Grand Fossé», c’est le bide.
Lucky Luke: les albums du cow-boy belge sont une mine d’or jusqu’à la fin des années 1960 aux Editions Dupuis. Ensuite, les tirages explosent et les prix se décomposent.
Gaston Lagaffe: quelques éditions rares publiées dans les années 1960 et des hors-séries se négocient des centaines de francs, voire beaucoup plus. Mais l’inénarrable employé de bureau a également été victime de tirages aussi énormes que ses bévues.